Impossible, en regardant Discount, premier long métrage de Louis-Julien Petit, de ne pas penser aux fameuses comédies sociales dont le cinéma britannique s’est fait une spécialité, des Virtuoses à Billy Elliot en passant par The Full Monty ou le récent Pride – et dont Ken Loach serait la figure tutélaire. Si la comparaison est évidente et un brin paresseuse, le jeune cinéaste force l’admiration en s’appropriant ces références pour mieux les contourner, d’autant que les pièges qui guettent un tel projet sont nombreux : misérabilisme, complaisance, clichés à la pelle et humour ras-du-sol, pour n’en nommer que quelques-uns. Avec un certain panache, Discount évite de sombrer dans ces écueils et, sans tutoyer les sommets, réussit là où tant d’autres comédies françaises échouent souvent : crédible, drôle, émouvante, parfois maladroite mais résolument sincère.
Personnages encombrés
Gilles, Emma, Alfred et Momo, employés d’un supermarché de hard discount, voient leurs postes déjà précaires menacés par la mise en place de caisses automatiques. Pour faire la nique à l’exploitation de plus en plus outrancière de leurs statuts, ils décident de monter un supermarché clandestin à prix très réduits en détournant les stocks invendus. La formule, d’abord gagnante, n’est évidemment pas sans risques et ne tarde pas à mettre la bande en difficulté… Louis-Julien Petit s’attache à brosser les portraits de ces héros ordinaires, mi-Robins des Bois, mi-Pieds Nickelés, avec un sens du détail qui se révèle à double tranchant : s’il sert le film par sa précision et sa rigueur quasi-documentaire, il lui donne aussi un côté « catalogue » qui alourdit parfois le propos. De la jeune mère célibataire dont le parcours est pour le moins chaotique au jeune rebelle qui prend soin de son père malade, en passant même par la gérante du magasin aux méthodes sournoises et à la vie affective en berne (le personnage le plus anecdotique du film, tentative un peu grossière d’humaniser un personnage a priori détestable), le scénario regorge de figures cabossées et volontairement complexes. On saura gré au réalisateur de ne pas céder à la facilité, mais le film aurait sans doute gagné à moins s’encombrer de notules biographiques pour ses personnages, qu’on aurait aimés malgré tout. Car le récit de ce grand détournement à des fins autant solidaires qu’individualistes, donc parfaitement humaines, se suffit déjà grandement à lui-même, tant les événements révèlent déjà suffisamment de la personnalité des uns et des autres.
No more drama
La beauté du film réside précisément dans la montée en puissance de l’idée géniale de la bande, et dans la façon dont elle met à jour les débats qui les agitent, collectivement et individuellement. Chaque personnage est à un moment du film tiraillé entre l’idéal politique que le geste met en œuvre concrètement et le gain que chacun en retire avec une satisfaction d’autant plus légitime que tous, englués dans la précarité, ont abandonné tout espoir de lendemains qui chantent. L’émotion affleure souvent, mais c’est une émotion qui refuse le pathos, une émotion galvanisante et salutaire, qui embrasse sans étouffer, sans prendre en otage. Discount, il ne faut pas l’oublier, est aussi et avant tout une comédie, aux dialogues finement ciselés, portée par des seconds rôles que l’on est heureux de (re)voir au premier plan – particulièrement la merveilleuse Corinne Masiero (inoubliable Louise Wimmer dans le film homonyme de Cyril Mennegun) ou encore Pascal Demolon – et un premier à qui on souhaite un bel avenir, Olivier Barthélémy, plutôt convaincant dans le rôle central et pas évident du beau héros taiseux au cœur tendre. On rit de bon cœur, avec eux, pour eux, et le sentiment fabuleux que ces personnages de fiction sont à la fois si réels et plus grands que la vie même fait de Discount une découverte joliment imparfaite, qu’on a envie de garder près de soi, tout contre le cœur.