On n’est pas près d’oublier son nom : Louise Wimmer. Et, par la même occasion, ceux du réalisateur (Cyril Mennegun) et de l’actrice (Corinne Masiero) qui, en une heure et vingt minutes, donnent vie à l’un des plus beaux personnages du cinéma français de ces dernières années. Louise Wimmer : une femme a priori banale, qui roule dans la nuit en écoutant en boucle « Sinnerman », la célèbre chanson de Nina Simone. Clope après clope, d’un petit boulot à un bar PMU qui fait crédit, Louise semble foncer à toute allure, enivrée par le rythme obsédant du chef d’œuvre de la chanteuse soul. Louise est une battante. Elle est fière, elle n’a peur de rien, en apparence. Louise ne demande qu’une chose : avoir un logement.
Une femme sans influence
Cyril Mennegun vient du documentaire : on le devine aisément, à regarder la précision avec laquelle il dépeint le quotidien de son personnage, toujours à la bonne distance, avec une empathie qui ne sombre jamais dans le pathos. Héroïne de son temps, Louise Wimmer donne un visage aux anonymes brisés par les gros mots que les journaux ressassent froidement, jusqu’à l’écœurement : crise, récession, précarité… Mais c’est par le truchement de la fiction que le cinéaste parvient à rendre vivante cette victime collatérale de l’impitoyable machine économique. Pour autant, jamais la question politique n’est ouvertement posée : infiniment plus que le récit indigné d’une vie en déséquilibre, Louise Wimmer est, surtout, un magnifique portrait de femme. Le jeune cinéaste ne lâche pas son actrice une seconde, faisant de Louise un personnage non seulement d’une densité rare, mais également d’une belle sensualité. Le film évite de nombreux écueils, ne se limitant jamais au constat froid et compatissant de la descente aux enfers d’une quinquagénaire : il est, au contraire, débordant d’espoir et de vie, d’humour et de plaisir. Qui est Louise Wimmer ? Une femme tour à tour arrogante et bornée, touchante et admirable, pathétique et grandiose. Comme un Cassavetes revu et corrigé par Laurent Cantet, Cyril Mennegun appréhende le désordre social par le biais de l’éternel féminin : une grande crinière rousse et un corps étonnant, lourd et gracieux à la fois, en guise de Marianne moderne, pas du tout investie par une quelconque mission, sinon celle, si contemporaine, de sauver sa peau du marasme global.
Il faut, pour cela, une actrice, une vraie, une grande, et celle révélée par Cyril Mennegun est un ravissement. Corinne Masiero brûle littéralement l’écran de son physique presque androgyne, faisant de cette Louise un corps en perpétuel mouvement, qui ne doit jamais s’arrêter pour ne pas mourir. La voiture, élément clé du film, est le prolongement de Louise : elle y dort, elle en a besoin pour travailler, elle l’utilise pour rouler à toute allure et oublier ses malheurs. Elle est le lien qui l’unit à une vie sociale, à la générosité de ceux qui veulent bien lui donner un coup de main pour ne pas qu’elle sombre. Louise est un mystère, et Corinne Masiero réussit parfaitement à lui donner chair sans jamais la dévoiler tout à fait : le résultat, vertigineux, embarque le spectateur vers des sommets de sentiments contradictoires. Quand, à la fin, un rayon de lumière éclaire l’écran et le visage de Louise/Corinne, Cyril Mennegun réussit un petit miracle : faire couler des larmes de joie sur nos visages ébahis.