Après plusieurs courts-métrages remarqués, Pascal-Alex Vincent retrouve les jumeaux qu’il avait fait tourner dans Bébé requin et les place au cœur d’un road-movie envoûtant. Le film, très peu dialogué, mise avant tout sur l’esthétique des paysages traversés ainsi que sur l’ambiguïté de la relation entre les deux frères. Une marche contemplative, donc, où le réalisateur parvient à instaurer une esthétique des non-dits parfois contrebalancée par quelques poncifs sur la découverte des sens.
Non, vous n’entendrez pas de Sheila dans Donne-moi la main. En effet, le titre n’est pas un hommage à la petite fille du Français moyen, mais fait référence au refrain de la chanson « Melocotón », hymne mélancolique rendu célèbre par Colette Magny et que l’un des deux frères interprète d’ailleurs a cappella au cours du film. Donne-moi la main est même plutôt éloigné de l’univers un poil kitsch des premiers courts-métrages de Pascal-Alex Vincent (comme le très drôle Far West où une bande de jeunes gays excentriques passaient un week-end à la campagne), même si l’on retrouve des thématiques qu’il a déjà développées comme le passage de l’adolescence à l’âge adulte, la découverte de l’homosexualité ou la gémellité.
Pour Pascal-Alex Vincent, le Japon est une grande histoire d’amour. Il semble donc naturel qu’il en fasse allusion et ce dès les premières images du film, une séquence animée d’inspiration manga. Implicitement, c’est aussi pour lui une manière de marquer la transition avec ses œuvres antérieures puisque son dernier court-métrage, Candy Boy, était également dans l’esprit des dessins animés japonais. Dans cette scène d’ouverture, l’un des frères vient chercher son jumeau dans la boulangerie paternelle avant de prendre la route pour l’Espagne. Ils se mettent à courir dans la rue, l’un essayant perpétuellement de dépasser l’autre et l’on devine déjà que toute leur relation est construite sur un rapport de force. Néanmoins, il faudra attendre près de 20 minutes pour connaître l’objet précis de leur voyage : « Nous partons en Espagne pour l’enterrement de notre mère. Nous ne l’avons pas beaucoup connue » explique de manière lapidaire l’un des jumeaux à une jeune femme rencontrée à une station service. Depuis le début, les deux garçons ne parlaient pas beaucoup. La suite de leur marche est du même acabit, marquée par leur mutisme et ponctuée par des affrontements, des rencontres de passage (on retrouve notamment Fernando Ramollo, le jeune blondinet révélé dans Krámpack), et des corps à corps virils. Le réalisateur avoue se placer dans la mouvance des road movies américains des années 1970, avec un goût prononcé pour filmer les routes, les voies ferrées, les paysages qui défilent à travers une voiture, un camion, un train, en somme tous les moyens de locomotion utilisés par les deux frères au cours de leur traversée. Le film joue clairement la carte du contemplatif et mise plus sur le suggestif (d’où l’économie de dialogues) que l’explicatif. Par là-même, il ne fait qu’accentuer l’absence de communicabilité entre les deux frères, réduits à exprimer leurs instincts les plus primaires (« J’ai faim, je suis fatigué ») et pervers (quand l’un des jumeaux « vend » son frère à un homme dans une gare). Le parti pris est risqué, mais même si Donne-moi la main prend du temps à démarrer, Pascal-Alex Vincent arrive à nous captiver par la force de ses images, sa façon de cadrer les paysages ou d’instaurer l’espace (on pense par exemple ce travelling avant qui nous fait pénétrer dans le self glauque d’une gare de province).
Il semble évident que Pascal-Alex Vincent a une fascination pour les jumeaux Alexandre et Victor Carril, et que le film a été écrit pour eux. Le réalisateur ne s’en cache pas. Il dit s’être beaucoup inspiré des échanges qu’il a eus avec les deux acteurs et leur avoir laissé une bonne part d’improvisation au cours du tournage. Forcément, on n’échappe pas à une certaine érotisation du duo avec toujours en filigranes la fantasmagorie homosexuelle que peut véhiculer la gémellité. Deux scènes peuvent être mises en miroir : quand Quentin épie Antoine faire l’amour avec la jeune fille de la station-service, puis quand inversement, au crépuscule, Antoine voit son jumeau enlacé avec un garçon. Ces deux scènes traduisent à la fois les différences sexuelles des deux frères, mais elles se construisent également sur un rapport légèrement pervers de voyeurisme et de transfert. Pascal-Alex Vincent reste suggestif et se garde certes de tout regard racoleur. Mais on aurait presque préféré qu’il assume plus sa fascination pour les jumeaux, un peu à la manière d’un Gaël Morel qui, dans Le Clan, se fait avant tout plaisir à filmer les torses dénudés de ses acteurs.
Au lieu de cela, Donne-moi la main donne parfois l’impression de se rassurer en réactivant bon nombre de poncifs sur le deuil, le voyage comme cristallisateur de différences ou la découverte de l’homosexualité (l’initiation de Quentin passe par un jeune beur garçon de ferme, la scène où Antoine essaie de vendre son frère semble sortie d’un film de Téchiné de la fin des années 1980). Tous les chemins pris par ce film ne sont pas convaincants, mais il y a dans cette marche bucolique vénéneuse un trouble permanent qui suffit à nous rendre captifs. En passant du court au long et à l’image de l’évolution des deux personnages de Donne-moi la main, le cinéma de Pascal-Alex Vincent est en tout cas sur le point d’accéder à une maturité que l’on prédit prometteuse.