Réalisé dans des conditions d’auto-production totale par un jeune réalisateur, Djinn Carrénard, Donoma sort en salles avec l’envie d’en découdre et de rompre avec l’économie ronronnante de la distribution (voir édito). Le film capte la gouaille de couples d’amoureux improbables. Le film oscille entre jubilation et maladresses, pris, on ne sait trop où, entre le meilleur Kechiche et le pire Lelouch. Reste, après la projection, la sensation d’avoir vu un film libre et hors-norme.
Donoma est un film qui déborde de mots. Le film aime tellement exposer la parole qu’il en devient insolent. En témoigne la première scène qui voit un récit et sa mise en images imbriqués. Une prof d’espagnol raconte à ses amies une altercation avec l’un de ses élèves qu’elle terminera en séance expéditive d’éducation sexuelle. Le récit est entrecoupé du flash-back de l’histoire elle-même. Au lieu d’être redondant, l’effet contient toute l’énergie du film qui aime être à la fois dans la joie de la parole et dans l’énergie des corps. L’hystérie rigolarde de l’interprétation, le contrechamp des amies mi-choquées mi-excitées, la caméra toujours aux aguets pour saisir la tension entre l’élève et son enseignante entraînent la scène avec une force d’emballement toute cassavetienne.
Variation contemporaine autour de La Ronde de Max Ophuls, le film déroule une chaîne de couples pour épuiser des combinaisons entre personnages. Ainsi Analia séduit perversement son élève Dacio qui sort avec Salma qui, elle, se fait draguer par le meilleur ami de ce dernier. Elle jettera finalement son dévolu sur Raïné qui a croisé le chemin de Dieu. Pendant ce temps, Chris choisit arbitrairement d’aimer Dama qui vient de rompre avec Leelop. Les deux lignes narratives se croiseront le temps d’une scène furtive dans un métro parisien. À lire ce résumé, on se dit que le film est impossible. S’il frôle parfois le tic de la structure chorale, il tient aussi grâce à l’énergie qu’il met dans des scènes de joutes verbales entre des personnages en quête d’amour qui n’arrivent pourtant jamais à donner ce qu’ils aimeraient recevoir. La caméra légère de Djinn Carrénard – qui compose le cadre de tout son film – sait alors capter avec habileté le flot des paroles. Peu de découpage ici. Le réalisateur privilégie d’impressionnants plans-séquences où la caméra portée n’a pas peur des accidents (décadrages, flous, tremblés) pour épouser la vitesse de ces corps et de ces mots. Dans une veine très française (lire le beau livre de Michel Chion, Le Complexe de Cyrano), les beaux parleurs ne seront pas forcément les gagnants de l’histoire.
Le film foisonne aussi de fausses pistes, de contre-pieds faits au naturalisme. Bizarrement, ce foisonnement est à la fois ce qui rend le film enthousiasmant et inabouti. Djinn Carrénard sait, à la manière d’un Despleschin, décentrer son scénario, le suspendre en y injectant une dose d’étrangeté. En même temps, le film laisse en plan des pans entier de son histoire. Certaines pistes sont littéralement abandonnées alors qu’elles venaient à peine d’être esquissées. Sur la forme, le film regorge aussi d’afféteries dont le spectateur ne sait trop quoi faire.
Donoma n’en est pas moins le joyeux faire-part de naissance d’un véritable réalisateur dont on sent un amour passionnel pour le travail des acteurs et l’envie rageuse de faire du langage contemporain un matériau cinématographique. Abdellatif Kechiche parraine le film. On comprend pourquoi.