Le 30 novembre dernier avait lieu au cinéma Publicis la projection du premier long-métrage de Djinn Carrénard : Donoma. Le titre vous dira peut-être quelque chose. Il crée le buzz depuis plusieurs mois sur Internet grâce au réseau social Facebook, première vitrine d’un film qui, après une sélection à Cannes dans le cadre de l’ACID, un article dans Brazil et un autre dans Les Cahiers du cinéma, cherche encore aujourd’hui un distributeur. Retour sur la genèse d’un film qui n’a pas fini de faire parler de lui.
Le projet Donoma naît en mars 2009 à l’initiative de Djinn Carrénard, jeune réalisateur de 29 ans, qui compte déjà quelques courts-métrages et clips à son actif. Le passage au long-métrage constitue pour lui un principe, traduit l’envie de ne pas s’enfermer dans le format court et la volonté d’entreprendre sans la bénédiction de potentiels producteurs ou distributeurs. Le credo de l’aventure Donoma qui pourrait être formulé ainsi : « agissons sans attendre », est sans doute ce qui marque le plus à la vision du film et à la découverte de sa genèse. Carrénard s’amuse à dire qu’aujourd’hui il faut du « fric » et du « piston » pour faire un film. Lui-même n’avait ni l’un ni l’autre. Plus qu’un coup de pub, le slogan « fait avec 150 euros » brandi comme un mot d’ordre annonce les possibilités qu’offre la fabrication d’un film et on peut espérer, à ce titre, que Donoma servira d’exemple à la postérité.
Entouré de ses comédiens et portant lui-même les casquettes de scénariste, réalisateur, monteur, acteur et technicien polyvalent (au cadre, à la lumière et au son), Carrénard tourne au mois de juin 2009. Au mois d’octobre de la même année, une première projection-test est organisée à l’Écran de Saint-Denis. Les internautes découvrent le film pour la première fois et permettent au réalisateur d’y apporter des modifications. C’est donc après avoir été remanié que Donoma est projeté à Cannes l’année suivante dans le cadre de la sélection de l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion), branche plus confidentielle du festival qui a permis à plusieurs films d’être distribués. Mais Donoma demeure le seul film de la sélection 2010 à faire encore défaut.
On l’a beaucoup comparé au cinéma de John Cassavetes et on se souvient de l’annonce radiophonique passée par le chef de file du cinéma indépendant américain pour récolter des fonds afin de réaliser Shadows, son premier film (même si la réalité demeure moins romanesque que la légende, les fonds ainsi récoltés n’ayant constitué qu’une partie du financement). S’il avoue n’avoir découvert les films de Cassavetes qu’après avoir réalisé Donoma, Carrénard se plaît par contre (et se sous-estime) à citer Alejandro González Iñárritu comme modèle. Son incursion dans le genre du film choral se fait très loin du pathos de Babel, apporte au contraire un humour et un ton libre qui le placent bien au-dessus de la logique tire-larmes du réalisateur mexicain.
Les couples dont il filme la confrontation verbale ou silencieuse se croisent subrepticement et leur rencontre ne paraît jamais forcée ou anecdotique. Différences d’âge, de milieu social et de croyance donnent lieu à des conflits qui ne mènent à aucune résolution, le film laissant ses personnages dans un volontaire état d’inachèvement. Ce refus de conclure éloigne Donoma de tout académisme ou esprit de morale. L’important n’est pas de savoir comment ces histoires se terminent mais de toujours maintenir ouvert et vivant le conflit qui anime les protagonistes, d’où l’introduction dans le dernier quart d’heure du film d’un nouveau personnage et d’une relation nouvelle. Les personnages s’assemblent et se désassemblent sans d’autre but que cet assemblage. Leurs relations sont filmées dans le présent de la conversation et de la confrontation, l’avenir est bien trop loin pour qu’on s’en préoccupe. Mais ce n’est pas tant d’hommes et de femmes dont il est question que de ce qui émane et circule entre eux : la rencontre, le désir, la révélation. Carrénard cadre l’invisible et fait ainsi de Donoma un film incroyablement jeune et doué de souffle. Un vent nouveau serait-il en train de souffler sur le cinéma français ? Espérons-le. Cette fraîcheur tient d’abord à la liberté octroyée aux acteurs auxquels Carrénard offre un espace de jeu affranchi de toute contrainte technique (marques au sol, éclairages) ou scénaristique (improvisation des dialogues à partir de situations dont les acteurs connaissent les rouages majeurs). L’héritage de la croisade de Cassavetes contre l’ « outil » cinéma et le retour au principe de l’ « acteur-roi » se font ici nettement sentir.
La boucle est bouclée alors que le film s’achève sur une note mystique et interroge la foi de ses personnages, cette question renvoyant à la genèse de Donoma où elle prend véritablement racine. Ce premier long-métrage plein d’espoir nous montre que la foi en un nouveau cinéma français est possible. Encore faut-il croire en ses modestes moyens. Nul doute que ce nouveau souffle fait film trouvera à être distribué en salles très prochainement afin que le public puisse apprécier l’ampleur du talent du très prometteur Djinn Carrénard et de ses comédiens.