Dans une cour de Corée du XVIIe siècle, la corruption règne et la révolte gronde, cristallisée par l’opposition entre un mystérieux rebelle artiste martial et une jeune membre de la police. Sur un canevas mille fois vu, Duelist propose une alternative imparfaite mais audacieuse aux clones de Tigre et Dragon.
Depuis le succès de Tigre et Dragon, pourtant contre-exemple du cinéma héroïque asiatique, les nouveaux avatars du genre font figure de productions à la chaîne importées en lot depuis l’Orient pour répondre à une mode. Le récent Wu Ji est notamment un exemple de cette regrettable tendance, qui veut que le film de costumes asiatiques avec une tendance prononcée aux arts martiaux spectaculaires soit synonyme de succès rentable au box-office. Qu’importent le scénario, la mise en scène, le jeu d’acteur, pourvu qu’on ait des effets spectaculaires : Tigre et Dragon, Le Secret des Poignards volants, Wu Ji, etc. envahissent régulièrement les écrans, avec une régularité qui évoque plus les séries de Maciste, du Gendarme, ou l’œuvre de Max Pecas, qu’un courant artistique reconnaissable et prégnant. Seul le Hero de Zhang Yimou peut prétendre à un discours et une forme dignes d’intérêt, bien que lui-même ne soit pas exempt des défauts inhérents au genre — un léger sentiment de vide dans le script, notamment.
Contrairement à tous les films précités, Duelist refuse dès le départ de se prendre au sérieux, et choisit de saisir les opportunités qui lui sont offertes d’un discours artistique original et foisonnant. Connaissant les défauts du genre en matière de scénario, notamment, le film choisit de présenter une trame décousue, souvent anachronique, et une intrigue pour le moins mince. Le réalisateur Lee Myung-se choisit délibérément de tourner le dos à la rigueur historique habituelle dans un film en costumes : visuellement, le film n’est aucunement réaliste, et costumes et colifichets affichés ne sont que des prétextes à la splendeur visuelle. Il a placé son film sous les signes conjoints de la beauté visuelle, de l’harmonie des couleurs, de la chorégraphie et du mouvement. L’utilisation de la technique colorimétrique 4K permet d’accentuer les couleurs, ainsi que la façon dont les éclairages naturels les font ressortir : le film bénéficie ainsi d’une grande richesse de l’image, d’une stylisation permanente des formes et des couleurs. La temporalité, enfin, et le rythme de l’action sont dilatés ou réduits selon les besoins de l’expression, sans le moindre regard pour la vraisemblance.
La plus grande qualité de Duelist tient avant tout dans l’approche originale des arts martiaux, évidemment omniprésents dans le film. Le réalisateur a soumis ses acteurs à un entraînement centré autour de la danse et du base-ball, pour dépeindre les mouvements et attitudes des combattants. S’ensuit, à l’écran, une série de scènes martiales que l’on attend avec une gourmandise certaine, tant elles sont poétiques et de toute beauté. Leur efficacité tient notamment dans l’alternance, tant au niveau visuel que de celui du montage et du rythme : plans rapprochés et larges s’interpénètrent d’une façon assez subtilement travaillée pour appuyer la narration, en paraissant pourtant disposés de façon anarchique. Le rythme oscille entre des ralentis longs, presque interminables, et des alternances de plans courts et agressifs. Tout est mis au service de la vision du réalisateur, narrateur omniscient libre de souligner les plus infimes détails, et le spectateur est rapidement emporté par la frénésie ambiante.
Le discours du film est donc tout entier centré autour de l’impact, de l’effet produit : c’est une grande réussite en cela que cette caractéristique majeure de l’animation asiatique est très rarement transposée dans les adaptations pour le grand écran des succès de ce média principalement télévisuel. Suivant la logique qui auréole d’un halo de qualité suprême toute production asiatique, la France a eu son lot de tels films, directement en DVD pour la plupart. Si Old Boy et Battle Royale avaient réussi à transcender les limites de l’adaptation avec un discours propre et efficace, les médiocres Azumi, St John’s Wort, Uzumaki, Hiroku the Goblin ou Skyhigh sont les rejetons d’un cinéma sans ambition, en dehors de celle de redonner une jeunesse commerciale à un matériau déjà couronné de succès sur le petit écran. On retrouve dans Duelist les ingrédients de la narration parfois chaotique des animes : omniprésence des gags dans le déroulement d’une intrigue sérieuse, musique appuyant parfois lourdement les effets, atemporalité et stylisation extrême des effets de narration. Mais là où les autres films chutent par manque d’indépendance vis-à-vis du matériau d’origine, Duelist accepte les contraintes du genre et les recycle à son profit : c’est là ce qu’il manque aussi à ces lointains cousins que sont les Poignards volants et consorts.
D’un point de vue purement formel, autant que dans les intentions artistiques, Duelist brille par son intégrité. C’est hélas au détriment d’autres éléments du film : le jeu d’acteurs et le scénario. Quatre personnages structurent le film : Namsoon, Yeux Tristes, le détective Ahn et le Ministre de la défense. Le personnage de Namsoon est interprété par Ha Ji-won, actrice découverte en France dans Phone. Si son personnage partage la vedette avec Yeux Tristes, mystérieux et sombre, Ha Ji-won compose une jeune enquêtrice au service de l’aristocratie sans la moindre nuance, selon une approche résolument centrée sur les gags graphiques — grimaces, splastic, comique de situation passablement grotesque… Souvent flanquée du gaffeur Ahn, interprété dans le même registre par le pourtant estimable Ahn Sungki, elle perd dans les moments d’émotion ses dernières onces de crédibilité. Le ministre félon, interprété par Song Youngchang a, dans ses motivations comme dans ses relations avec son protégé Yeux Tristes, un potentiel qui renvoie ostensiblement aux adaptations shakespeariennes de Kurosawa – dans les intentions, du moins. Si son interprétation est respectable, elle est singulièrement maintenue en retrait par la mise en scène, évacuant là aussi tout potentiel émotionnel, même s’il paraît bien plus crédible que Namsoon. Yeux Tristes, enfin, semble se poser en symbole du film : élégant, mystérieux, parfois d’une infinie beauté, et vide de sens malgré un grand potentiel.
Le scénario est quant à lui à la fois simpliste et confus. C’est d’autant plus regrettable que le titre même du film prête à une double lecture qui aurait pu enrichir le propos : s’il est question de duel, c’est avant tout entre amants qu’il se déroule, une danse de séduction entre les deux protagonistes. Mais si l’injustement méconnu Millenium Actress de Satoshi Kon livrait autour d’un tel canevas un discours subtil, ambigu et envoûtant, Duelist laisse cette polysémie de côté, pour une fois encore tout sacrifier au style visuel.
Malgré ses défauts, Duelist est un bel objet pictural, un tableau mouvant, un exercice de style, et surtout une avancée certaine vers la maturité pour le genre inauguré en occident par Tigre et Dragon. Il est regrettable que Lee Myung-se n’ait pas su tempérer sa créativité, et qu’il situe son film dans la décadence du genre : il ne nous reste plus qu’à attendre le juste milieu entre l’asepsie des exemples traditionnels de ce type de production et la stylisation extrême et parfois abstraite de ce Duelist.