Au cours de cet été, la publication d’Eiffel et moi, et la tournée médiatique qui a suivi, ont mis en exergue le parcours du combattant qu’a vécu la scénariste Caroline Bongrand, permettant de faire encore un peu davantage la lumière sur les tentatives de récupération et les coups bas dont sont souvent victimes les auteurs de scénarios. Mais puisqu’à la faveur de ce salutaire coup de projecteur Bongrand semble avoir recouvert la « maternité » du projet, il faut hélas lui attribuer aussi une grande partie des faiblesses du film de Martin Bourboulon, qui sont avant tout scénaristiques. L’érection de la tour Eiffel est assurément un « bon » terreau de fiction, et l’on entrevoit, à la vision du film, ce que Bongrand a cherché à en tirer – peu ou prou une sorte de remake français du Rebelle de King Vidor, très proche du point de vue du canevas narratif. La « thèse » de Bongrand mêle la construction de l’édifice à un mélodrame : cette tour, c’est l’incarnation secrète de la passion d’Eiffel pour un amour impossible, Adrienne. D’où cet avant-dernier plan, littéral et aberrant, qui révèle l’évidence : le A que forme la tour renvoie à l’initiale de l’amante. On pourra émettre deux réserves sur cette idée. En premier lieu, le film sous-exploite complètement la folie derrière le projet d’Eiffel. Lorsqu’il se voit proposer, avant de retrouver par hasard Adrienne, de chapeauter l’édification d’une tour de métal, il raille d’abord le désir des architectes, qui ambitionnent de monter jusqu’à 200 mètres : « en somme, c’est à qui montera le plus haut ? ». Or, quelques scènes plus loin, face au sourire de son ancienne fiancée, qu’il n’a pas vue depuis vingt ans, il s’emballe : une tour en acier de 300 mètres, promet-il, lorsqu’on lui demande s’il a en tête un projet pour l’Exposition universelle de 1889. On le voit bien, la tour est – interprétation banale, mais inévitable – littéralement une preuve de la vigueur de son désir. La piste est là, sous la surface, mais le film, trop policé, semble comme gommer cet aspect, loin des métonymies de Vidor et de sa mise en scène d’une ivresse du désir.
La piste du mélo pose par ailleurs un autre problème purement narratif : en entrelaçant le récit du chantier à une série de flashbacks, le film indexe toute la partie « documentée » (les problèmes matériels que posent le chantier, le cadre du concours, l’opposition d’une partie de la presse et des riverains) sur les humeurs de l’ingénieur. Un mauvais souvenir refait surface ou la relation avec Adrienne s’achemine vers une impasse ? On voit Eiffel de loin, de mauvaise humeur, houspillant sa main-d’œuvre. La flamme se ravive ? Eiffel est radieux, les ouvriers déjeunent sur l’échafaudage, ravis de participer à cette belle entreprise. Assurément, la mise en scène de Bourboulon, d’un académisme bon teint, n’aide en rien à relever la saveur de ce biopic convenu, mais le récit semble dès le départ comme corseté, animé par une flamme dont il n’ose s’approcher qu’à moitié, pour un résultat inopérant autant sur le plan du film historique que sur celui de la romance entravée.