Première réalisation du coscénariste des derniers films de Pablo Trapero (Leonera, Carancho), El Estudiante témoigne d’une vision pour le moins désenchantée du milieu militant et de la réalité de l’engagement politique, hélas enchâssée dans une fiction trop peu incarnée.
El Estudiante se présente comme un récit d’apprentissage : un jeune provincial découvre les rouages de la politique, au fur et à mesure de son ascension dans la structure du pouvoir de l’Université de Buenos Aires. Au début du film, Roque est un « étudiant professionnel », comme on en croise sans doute autant en Argentine qu’en France : un peu glandeur, un peu fumiste, il déambule en touriste dans les couloirs de la fac et se révèle plus intéressé par les filles que par les cours. C’est justement la volonté de séduire une jeune enseignante qui l’amène à intégrer un syndicat étudiant.
Contrairement à ce que laisse entendre le (mauvais) sous-titre français du film, El Estudiante ne décrit pas une « jeunesse révoltée ». Roque n’a rien d’un Indigné, encore moins d’un révolutionnaire. C’est une page vierge, ou plutôt un papier absorbant – un peu comme le héros d’Un prophète, modèle avoué de Santiago Mitre. Il n’entre pas en politique par conviction (il en est dépourvu), et il n’y fait son nid que parce qu’il se découvre un goût et un don pour la « gestion d’autrui », pour reprendre une définition que le film donne de la politique. Et il ne faut pas compter sur les autres activistes que fréquente Roque pour sauver l’honneur : s’ils se gargarisent de grands mots et de belles idées, ils ne semblent animés que par des rivalités et des jalousies minables, et par le besoin de se donner une contenance, d’acquérir une légitimité morale à peu de frais. Enfin, le film ne cache rien de l’instrumentalisation des syndicats étudiants par les grands partis traditionnels, ni des trahisons, des compromissions et du clientélisme qui sont le quotidien de l’exercice de la politique.
On peut regretter le pessimisme schématique dont fait preuve Mitre à l’égard du monde militant, mais force est de reconnaître qu’il s’est documenté. Tourné dans les couloirs de l’Université avec la collaboration d’anciens syndicalistes étudiants, El Estudiante opère une immersion convaincante dans ce milieu en vase clos, et témoigne des mêmes qualités documentaires que Carancho ou Leonera. Il manque juste à El Estudiante la force et l’évidence de la mise en scène des films de Pablo Trapero. L’image numérique est ici trop nette, sans mystère. Les cadrages serrés semblent moins vouloir sonder les corps et les visages (fermés, opaques) que découler des contraintes d’un tournage à très petit budget (quelque 30 000 dollars). Moins excusable est le recours à une voix off qui nous présente les personnages et annonce ce qui va leur arriver – un procédé qui alourdit le film sans rien lui apporter.
Le récit lui-même n’est pas des plus emballants. Construit autour de détails très réalistes, il reste paradoxalement abstrait, tant les enjeux et les calculs demeurent obscurs. Pour ne rien arranger, le film ne cesse de faire référence à l’histoire argentine des cinquante dernières années, ce qui n’aide pas le spectateur français à en saisir toutes les subtilités. Mais surtout, il est bien difficile de s’attacher aux personnages, à commencer par celui de Roque. Pour donner un peu d’envergure à son parcours moral, il aurait fallu en faire un héros balzacien, tandis que cet homme sans qualité et sans idéal – il n’a aucune illusion à perdre, juste son amour-propre à ravaler – peine à susciter l’intérêt, et encore moins l’empathie. Jusqu’à sa réplique finale, Roque demeure une énigme que le film ne donne pas envie de résoudre.