Septième film de Pablo Trapero, Elefante Blanco plonge un jeune prêtre dans les entrailles d’un bidonville où règnent la misère, la violence et les trafics. Après Leonera et Carancho, le réalisateur argentin offre un nouveau thriller social, mais son cinéma tourne en rond.
Dans la forêt amazonienne, le père Nicolas (Jérémie Renier) assiste impuissant à une série d’exécutions menée par les paramilitaires. Caché dans la jungle, il survit tant bien que mal et se retrouve au petit matin seul parmi les cadavres. Dès ce prologue éprouvant, Pablo Trapero affiche son ambition : climat soigné (la nuit, le feu, la pluie), bande-son riche et grouillante, rythme haletant… Le cinéaste possède un indéniable talent pour la composition des plans et sait créer une atmosphère. Mais très vite pointe aussi son péché mignon : une tendance à la surcharge, à la saturation, au trop-plein qui dégouline et pèse sur l’estomac. Sous les nappes musicales de Michael Nyman, derrière les mouvements de caméra amples et virtuoses, la grandiloquence menace sans cesse. Et quand après dix minutes le titre s’inscrit en lettres épaisses, le film semble alors bien porter son nom. Elefante Blanco, c’est un sujet fort (Dieu confronté aux bidonvilles) traité avec la subtilité d’un pachyderme en route vers Hollywood.
Catapulté dans les faubourgs de Buenos Aires, le jeune missionnaire doit éprouver sa foi au contact d’une population déshéritée, en proie à tous les maux. Les gangs font régner la terreur, les crimes sont monnaie courante, la drogue s’infiltre partout. Le chantier d’un hôpital s’éternise, et ni les élus ni les représentants de l’Église ne semblent prêts à s’impliquer davantage pour aider les plus démunis. Nicolas peut heureusement compter sur le soutien de son ami Julián, un prêtre plus âgé (Ricardo Darín), et de Luciana, une assistante sociale très dévouée (Martina Gusmán). Ensemble, ils mènent au quotidien des actions de sensibilisation et d’éducation dans le quartier, écoutent les doléances des familles et tentent d’apaiser les conflits. Face à tant de souffrance, Nicolas s’interroge sur son rôle et sa vocation. Plus il s’engage auprès des habitants, plus il s’enfonce dans la tourmente.
Comme dans El Bonaerense ou Carancho, le récit épouse la trajectoire d’un homme plongé au cœur d’une société violente et corrompue. La matière réaliste sert avant tout de toile de fond à une étude de caractère, l’inscription documentaire apporte son poids de véracité à l’intrigue romanesque. Ce mélange de naturalisme minutieux et de fiction trépidante a pu faire illusion dans les premiers films de Pablo Trapero – reconnu à ses débuts comme une figure de proue de la « nouvelle vague » argentine. Mais la recette présente aujourd’hui ses limites : décors et figurants apparaissent ici au service d’une machine bien huilée, qui roule des mécaniques et cherche en permanence l’épate. La mise en scène multiplie les coups d’éclat et les morceaux de bravoure : des fusillades éclatent au beau milieu d’un plan tranquille, de longues coulées accompagnent les personnages dans leur course à travers les rues.
En mêlant crime et religion, Pablo Trapero vise l’opéra tragique et lorgne sur le cinéma américain des années 1970, façon Scorsese ou Coppola (le début évoque Apocalypse Now). Mais depuis Carancho, les ingrédients ont déjà bien servi : un héros sur le fil, un zeste de romance, une ville labyrinthique et un final exacerbé… Le réalisateur filme encore amoureusement sa muse et compagne Martina Gusmán. Ricardo Darín a le regard toujours aussi perçant. Et Jérémie Renier, propulsé dans cet univers, traîne sa croix l’œil hagard et le pas boiteux. Malgré leur intensité et certains éclairs ponctuels, Elefante Blanco reste trop bourré de tics et d’effets de manche pour vraiment émouvoir.