La jeune Zoë Kazan, comédienne et scénariste, écrit Elle s’appelle Ruby. Elle le fait lire à son compagnon Paul Dano, qui le fait lire aux réalisateurs de Little Miss Sunshine, responsables de son premier grand succès d’acteur au cinéma. Et voilà deux couples embarqués dans la création d’une comédie romantique loufoque autour du motif de Pygmalion. Soit un film attachant, mais souvent lisse, aussi bien dans son propos sur le couple que dans sa forme à la sophistication naïve.
Calvin, jeune auteur surdoué, ne trouve plus l’inspiration après son premier best-seller. Seul dans sa villa d’architecte, étouffé par la chaleur de Los Angeles, il rêve. Ainsi le film commence par cette image solaire d’une jeune femme, en contre-jour et en contre-plongée, présentée comme un mystère fascinant pour Calvin comme pour le spectateur. Ce mirage sensuel bouleverse l’écrivain déprimé jusqu’à l’obsession. Quand son psychiatre lui suggère d’écrire sur cette femme virtuelle, Calvin est saisi d’une nouvelle frénésie littéraire : à tel point que son imagination déborde les limites de sa belle machine à écrire pour prendre vie sous ses yeux. L’écrivain pense d’abord être devenu fou, avant de réaliser qu’il n’est pas le seul à voir Ruby, la femme de ses rêves, douce, fantasque et libérée. La créature est bien réelle et, en quelques frappes, Calvin peut modifier son humeur, sa maîtrise des langues étrangères, ses connaissances, son apparence… Mais Ruby n’a de cesse d’échapper au diktat de son créateur. Entre toute-puissance et frustration, Calvin se heurte à l’évidence de toute relation de couple : loin de devenir une seule et même entité, deux êtres demeurent deux individualités.
Pour construire cette figure d’écrivain tourmenté, Elle s’appelle Ruby utilise à merveille le pré-construit de l’acteur Paul Dano. L’adolescent décalé dans Little Miss Sunshine, prédicateur fou dans There Will Be Blood, s’en donne à cœur joie avec ce personnage, variation comique de son emploi habituel. Après un premier tiers rythmé et drôle, le film pose rapidement un problème de ton et de densité, ne pouvant fonctionner uniquement sur l’aura relative de ses interprètes. Dans le dossier de presse, la scénariste Zoë Kazan évoque l’inspiration de William Shakespeare, George Bernard Shaw et Mary Shelley comme sources de réflexion sur le sujet des rapports entre créature et créateur. Mais on pense plutôt à une variation romantico-comique d’un roman de Guillaume Musso. Seule différence avec l’auteur de best-sellers estivaux : le lien contrarié entre l’écrivain et sa créature trouve ici son suspense du fait que Ruby ignore sa véritable nature. L’ironie dramatique est bien mince et les personnages de Zoë Kazan passent beaucoup de temps à « faire des ronds dans l’eau ». D’ailleurs, la bande originale donne une place importante aux chansons françaises pour accompagner les atermoiements d’un couple au style années 1970. Ça fait cool et arty de se mettre à parler en français en plein milieu d’une conversation et d’écouter « Ça plane pour moi », dans un film dont la promotion repose essentiellement sur le coup d’éclat passé de ses réalisateurs.
Devant la caméra de Dayton et Faris, le duo Dano / Kazan se donne des airs de personnages « Nouvelle Vague », jusqu’à cette scène de lit où l’on singe furtivement À bout de souffle dans une résurgence nostalgique. Mais tout cela est passé sous le vernis policé d’une image hollywoodienne sans prétention de singularité. Surexposition et longue focale créent en permanence un halo suranné autour de personnages en pleine errance identitaire. La démarche volontariste d’une photographie à la beauté clinique finit par user le regard, qui se satisferait largement de la trouvaille graphique des décors : cette villa dessinée par l’architecte J. Frank Fitzgibbons, aussi belle qu’oppressante avec ses arêtes nettes et ses espaces morcelés. Mais son style moderniste demeure la pierre de voûte d’un huis-clos qui ne s’assume pas pleinement. À chaque sortie de Calvin et Ruby de ce nid, le film s’égare en séquences de civilités futiles (repas de famille, vernissage, cocktail…), où la tension entre les deux amoureux se meurt lentement. Voilà la faiblesse d’Elle s’appelle Ruby, aussi bien dans son écriture que dans sa réalisation : ne pas aller au bout de ses partis-pris, ne pas investir sa folie intrinsèque. De truismes en banalités, le film consume la force de son sujet et efface la subtilité qu’il porte en germe dans son discours sur les paradoxes de la notion de couple. Le filon du feel-good movie a bien atteint ses limites.