C’est une belle respiration que nous offrent Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier en cette fin d’année. Il est de ces films sans âge, que l’on apprécie de sept à soixante-dix-sept ans, avec un même élan d’amour pour des personnages maladroits, pour un univers enchanteur, pour un propos à la fois naïf et juste. Ernest et Célestine est de ceux-là.
Sous l’impulsion du producteur Didier Brunner, le débutant Benjamin Renner, épaulé par deux réalisateurs chevronnés, s’est plongé dans l’univers sensible d’Ernest et de Célestine, créé par Gabrielle Vincent dans les années 1980 (éditions Casterman). Ensemble, ces orfèvres de l’animation ont réinventé les débuts d’un couple atypique, parangon sans prétention de la tolérance et du métissage. Dans le monde d’Ernest et de Célestine, l’organisation est très claire : les souris habitent un monde souterrain et les ours vivent au grand air. Les rongeurs ne se risquent à la surface que pour collecter des incisives d’ursidés. Solides et pratiques pour remplacer les dents de souris, elles constituent un élément indispensable à la survie et au développement de la communauté. Chez les souris, on est dentistes, un point c’est tout. Mais Célestine, éprise de liberté et de grands espaces, se rêve peintre. À la surface, Ernest est un musicien passionné, en rupture avec une famille de juges austères. Voleur et mendiant quand sa situation précaire l’impose, il est aussi prompt à la bagarre que Célestine est révoltée par son conditionnement social. Alors que tout les oppose par nature, ces deux-là semblent tout avoir pour s’entendre. De leur rencontre explosive naît une amitié sans faille, propre à bouleverser les repères d’une société clivée, où leur relation est jugée contre-nature et punie par la loi.
Ernest et Célestine est un film rare. Avec simplicité, il exprime des choses importantes sur des sujets souvent jugés compliqués. Sous leur apparente innocence, l’ours et la souris sont des rebelles d’un genre inédit. Dans ses albums poétiques, la dessinatrice et conteuse Gabrielle Vincent disait avec douceur le bonheur de se moquer des conventions et d’inventer ses propres repères, en laissant ses sentiments primer sur le jugement d’autrui. On retrouve cette gravité légère dans l’adaptation cinématographique de son œuvre. Avec cette nouvelle aventure d’Ernest et Célestine, le film réinvente la rencontre et les débuts d’un duo aussi improbable qu’évident. Au lieu de mimer le trait inimitable de Vincent, Benjamin Renner a choisi d’en garder l’esprit et de lui inventer une forme filmique, adaptée au mouvement inédit de personnages de papier évoluant désormais sur une surface plus grande et plus lumineuse. L’image filmique conserve l’essence d’un trait caractéristique, travaillé sur le mode de l’estompe, avec une prépondérance pour les aplats à l’aquarelle. Si, à l’écran, les décors proposent bien plus de détails que les dessins de Vincent, ils s’évanouissent toujours dans leurs contours pour concentrer le regard sur l’essentiel et créer l’illusion d’un songe éveillé. Pour rappeler la page du livre d’enfants, le découpage filmique favorise les plans larges et valorise la finesse plastique des décors pastel. Ainsi, l’image réunit le plus souvent possible Ernest et Célestine dans un cadre transformé en véritable écrin.
Musique et voix viennent parachever l’élégance de ce film délicat, dont l’innocence et la gravité conjuguées touchent à tout âge. Sur des dialogues de Daniel Pennac, Lambert Wilson et Pauline Brunner incarnent avec finesse l’humour et la fragilité de personnages (littéralement) extraordinaires. Sur le papier, Ernest et Célestine ont déjà enchanté une génération d’enfants, qui vont aujourd’hui redécouvrir les héros de leur enfance aux côtés de leurs propres bambins. Grâce au travail minutieux et respectueux des Armateurs, les albums de l’ours et de la souris vont sûrement connaître une nouvelle jeunesse. Quand un film peut donner le goût de lire et l’envie de rêver, on peut assurément parler d’une œuvre précieuse.