Que peuvent bien avoir en commun un lapin et un canard déguisés en Père Noël, un renard qui couve des poussins, un tarsier (ce petit primate aux grands yeux) venu de Chine et une cigogne bavarde ? Pas grand-chose, si ce n’est de sortir de l’imaginaire fourmillant de Benjamin Renner, qui signe avec Patrick Imbert une belle adaptation cinématographique des contes tirés de sa bande-dessinée, le Grand Méchant Renard. Sous la forme d’un petit spectacle de fin d’année mis en scène par les animaux de la ferme, trois histoires joliment déjantées se succèdent : Un bébé à livrer, Le Grand Méchant Renard, et Le Noël parfait.
Renard mal léché
Après le succès d’Ernest et Célestine il y a quelques années, on entre ici dans l’univers de l’animateur, plus proche de la drôlerie des Contes du chat perché que du lyrisme de Gabrielle Vincent. Le dessin en témoigne. Quelques contours stylisés, quelques tâches de couleur : voilà pour le décor et les personnages. La signature graphique du film tient à ce croquis hâtif, enlevé et burlesque, proche parent de celui de la bande-dessinée. Avec ses paysages aquarellés dont les contours se dissipent à mesure qu’on s’écarte du centre de l’image, l’animation garde un air d’ébauche. Non pas l’épure poétique d’Ernest et Célestine (qui s’inspirait de la virtuosité avec laquelle Gabrielle Vincent tissait des ambiances d’un seul coup de pinceau), mais une stylisation privilégiant l’expressivité sur tout le reste : bougon, las, rieur, ahuri ou colérique, le renard mal léché de Benjamin Renner – et tout le petit monde qui va avec – se montre terriblement vivant.
Du fait de la sobriété choisie par le réalisateur, c’est à la spontanéité du trait, tout autant qu’aux voix d’acteurs (particulièrement réussies) que revient de donner vie à ces personnages à peine croqués. Ce que le dessin animé perd en grâce donc, il le gagne en spontanéité. Et la structure même du film, divisé en trois courtes histoires, est moins celle d’un long-métrage que d’une succession de petits contes, où le rire et l’action ont la part belle. Dans un registre mineur par rapport aux ambitions formelles d’Ernest et Célestine, on prend plaisir à voir défiler les décors (la ferme, la foret, la ville en hiver, ou la soute d’un avion qui se rend en Chine…) autant que les gags, depuis la raclée infligée au méchant loup par des mamans poules jusqu’aux leçons de conduite improvisée où un lapin et un canard roulent en marche arrière le long d’une colline sinueuse…
Tous en scène
C’est cette simplicité, voire ce dépouillement, qui constituent le véritable atout d’un film dont l’ambition est moins d’éblouir que d’amuser ses spectateurs. De fait, le comique du Grand Méchant Renard naît du caractère à la fois théâtral et bancal de sa mise en scène, à l’image des premiers moments, où le rideau s’ouvre et l’on voit les acteurs en train de peindre le décor, puis s’écrier, pris de panique : « on n’est pas prêts ! » Petits et grands l’auront compris, la ferme est un théâtre où chacun joue son propre rôle devant le public. Une situation de mise en abyme savoureuse, puisque la frontière entre acteur et personnage reste ténue : ainsi, à la fin de la pièce, un petit poussin se met à côté du loup pour expliquer au public que « c’est du théâtre, il ne voulait pas me manger », alors que son partenaire de jeu le regarde d’un air vorace…
Cette veine parodique fonctionne d’autant mieux qu’elle s’attaque au monde de la ferme, dont le film bouleverse l’ordre rigide et les rôles bien établis. Voilà donc un chien de garde fumiste, qui donne des œufs en boîte à Maman Poule après que le Renard lui ait volé les siens, ou une cigogne irresponsable, qui prétend s’être cassée une aile pour refiler à un cochon le bébé qu’elle doit livrer. Dans ce petit microcosme dont les repères s’effritent, Benjamin Renner s’amuse à mettre en scène des protagonistes soit incapables de jouer leur propre personnage, soit poussés par les circonstances à endosser un rôle aux antipodes du leur. C’est ainsi qu’un lapin et un canard (chapeautés par leur ami le cochon, soucieux d’empêcher les catastrophes) livrent un bébé, et font même la tournée des cadeaux à la place du Père Noël. Et qu’un renard certes velléitaire dans son ambition d’émuler le grand méchant loup, mais finalement inoffensif, finit par servir de maman adoptive aux poussins qu’il avait enlevés… Basculant d’une péripétie et d’un déguisement à l’autre, le petit monde farfelu du Grand Méchant Renard, avec ses personnages hauts en couleur et ses poussins à croquer, offre une relecture espiègle, ludique et attachante de nos souvenirs d’enfance.