The Warrior, premier film d’Asif Kapadia, laissait déjà entrevoir l’intérêt du réalisateur pour les contes modernes. Toujours avec son scénariste Tim Miller, il adapte ici une nouvelle écrite par Sara Maitland, intitulée True North. Une histoire originale, passionnante, parfaite pour une adaptation (d’ailleurs Stanley Kubrick y avait songé), sauf qu’entre les mains de ce réalisateur, elle manque d’audace et de prise de risques. Ainsi, Asif Kapadia semble préférer à cette histoire hors du commun, une mise en scène, des dialogues et des acteurs fades, aussi vides que ce paysage demeure glacé.
Saiva et Anja vivent ensemble, seules, au beau milieu du Grand Nord. Dans ce paysage désertique, habillées en peau de bête, elles luttent contre le froid, la faim, et surtout, les hommes : des prédateurs redoutables et redoutés.
La vie s’écoule, avec ses aléas, mais pour Saiva et Anja, il est bien plus question de survie que d’autre chose. Elles ne sourient pas dans cette première partie du film. Asif Kapadia choisit de décrire avec minutie les habitudes de ces deux mystérieuses femmes, et peindre ainsi un quotidien empreint de monotonie, en accord avec le visage si solennel de Saiva et une mise en scène contemplative, statique. Les journées se ressemblent et le paysage aussi. Le climat hostile et sauvage s’adoucit lorsque la beauté naturelle de ces femmes apparaît à la lueur d’un feu, d’une nuit éclairée, ou bien à la faveur de nombreux gros plans, les plus souvent lorsqu’elles se retrouvent sous leur abri, une tente. La lenteur de leur vie se traduit par la lenteur de la caméra, des plans, des scènes. Asif Kapadia cherche à filmer la constance, l’immobilité d’une vie sans but et qui se questionne juste sur ses besoins primaires.
Asif Kapadia isole souvent ces deux femmes (par exemple, dans le choix du lieu de l’action), et utilise, pour ce faire, des stratagèmes plus ou moins convaincants. Tantôt la solitude se traduit par des silences, souvent associés à une minutieuse description de cet univers ponctué d’étranges manies, ou bien – et ceci semble récurrent – le réalisateur les plonge dans une nature immense, désertée, à l’allure impénétrable. Avec une paresse semblable à leur vie, la caméra les suit, de l’aube jusqu’à la nuit, et les surprend même enlacées dans leur lit. Il y a pourtant une tension palpable, dans les regards, les silences, et la sauvagerie de cette existence, qui confèrent au film une angoisse dont l’origine reste mystérieuse.
La mort rôde dès la première scène du film. Du sang coule et vient colorer l’annonce du titre, Far North. Et l’écho de cette violence se retrouve dans la scène suivante. Une voix off raconte une histoire, celle de Saiva, dont le visage apparaît en gros plan. Elle regarde hors champ. Une larme vient couler le long de sa joue. La voix raconte le malheur de Saiva. Enfant, un chamane voit en elle une malédiction. Quiconque l’approche, meurt. Elle fuit son village et ainsi commence son errance, sa solitude et ses désillusions. De nombreux retours en arrière viennent éclairer son passé mais permettent aussi d’expliquer la relation qui lie ces deux femmes : amies, sœurs, amantes ? Asif Kapadia apprécie les mystères et joue avec le spectateur en ne dévoilant à chaque fois qu’une partie du secret, à coup de réminiscences sans surprises.
Le duo, soudain, se transforme en trio lorsqu’un homme mourant est recueilli par ces deux femmes. Naît alors une jalousie sans vergognes pour réussir à séduire le bellâtre, une jalousie qui puise sa source dans des événements anodins, à la limite du ridicule, comme souvent lorsque ce sentiment jaillit de l’insignifiant. Cette alternance entre l’amour et la haine se passe si vite qu’Asif Kapadia ne nous laisse pas le temps de vivre avec ces femmes et de comprendre leur quotidien pour mieux annoncer cette réaction. L’intrusion de cet homme reste pour le moins surprenante. Ces deux femmes vivent recluses et craignent les rencontres masculines, quelles raisons poussent Saiva, la plus craintive, à le sauver ? Cet acte demeure inexplicable et inexpliqué.
À partir de cette rencontre, le film se fane, et cherche une voie incongrue, naïve et pleine de bons sentiments. L’homme leur apprend la vraie vie (la viande peut se cuire, et c’est meilleur), les fait rire (en comparaison avec l’austérité des dîners précédant sa venue), et s’amourache des deux, puis d’une. La plus jeune, la plus avenante et vulnérable, quelle surprise. Lorsque le trio se rencontre, ils se cherchent, s’espionnent, se guettent pour s’apprivoiser et le champ-contrechamp souligne la crainte des personnages. Comme des animaux à qui il manque la parole. Certes ils parlent peu, et heureusement, car la médiocrité des dialogues pèche faute de vraisemblance.
Peu à peu le réalisateur déplace l’histoire dans cette tente, et la transforme en huis clos, insoutenable, surtout quand l’amour vient s’y immiscer. Et comme des névroses, certains plans, identiques, reviennent en guise d’avertissement. Asif Kapadia décrit en très gros plan les gestes de Saija lorsqu’elle taille un silex, ou quand elle dissèque un animal mort. Il filme ses mains et son couteau qui glisse sous la peau des cadavres, avec plaisir et délectation. Le son s’amplifie, le sang jaillit, et pour éviter le voyeurisme, il ne s’attarde que très peu sur ces images aux goûts amers. Ces plans écœurent, dégoûtent, mais reviennent, comme des leitmotive dessinant un trait de caractère chez Saija, une femme obsédée, hantée par la mort. Hormis ces obsessions bien trouvées et un final terrifiant, la puérilité de cet amour naissant et la naïveté des dialogues ternissent ce film, qui partait pourtant d’une bonne intention.