Faux amis reprend le thème, cher au cinéma d’Harold Ramis, des losers sympathiques. Situant l’action de son film lors d’une nuit de réveillon de Noël pluvieuse et glacée, le réalisateur nous invite dans un univers délirant. Entre angelots, prostituées au regard d’ange et vrais salauds, Faux amis est une descente de plus en plus immorale et exquise dans les méandres du crime et de la trahison.
Charlie (John Cusack) est l’avocat d’un homme véreux, Bill Gerard (Randy Quaid), qui contrôle une grande partie des boîtes de nuit de Wichita, petite ville du Kansas. La veille de Noël, il décide, en association avec un homme d’affaires à peine plus scrupuleux (Bill Bob Thornton), de voler la caisse de Bill et de passer leur dernière nuit à Wichita pour faire la tournée des boîtes de strip-tease. Pourtant, son plus beau cadeau serait de s’enfuir avec la femme de ses rêves, Renata (Connie Nielsen). Mais il faut bien choisir ses associé(e)s…
La filmographie d’Harold Ramis est peuplée de personnages coincés entre faux semblants et quête de rédemption. Faux amis ne déroge pas à la règle : le monde de ces anti-héros ressemble à s’y méprendre à une sorte de bonbonnière, remplie de guirlandes et de Pères Noël imposteurs. Comme dans Un jour sans fin, où la ville semblait être une tranquille petite bourgade mais devenait vite une prison pour son héros, ou encore Mafia Blues dans lequel un psychiatre lâche et bien rangé se retrouvait piégé par la mafia, Wichita est une douce cage, « The Sweet Cage » du nom de la boîte de strip-tease où Charlie va errer toute la nuit. Ainsi se côtoient Pères Noël et strip-teaseuses chez Harold Ramis, qui en profite pour resservir l’humour noir et glacial qui a fait le succès de ses précédents films. Les familles modèles ne le restent pas bien longtemps, les femmes se révèlent dangereuses ou gênantes et les mafieux, sans aucun doute, sont vraiment méchants. Même Renata, la patronne sensuelle du Sweet Cage, paraît trop belle et distinguée face à ses strip-teaseuses agrippées aux barres de fer. Les fausses pistes sont si bien balisées qu’on comprend bien vite qu’il y a quelque chose qui cloche. Beaucoup de faux amis donc, que l’on prend un délicieux plaisir à suivre et à découvrir dès les premières minutes du film, mais qui deviennent très vite le prétexte à une succession de scènes hasardeuses.
Faux amis est un film noir, politiquement incorrect. Tous ces hommes d’un certain âge, plus ou moins véreux, qui n’ont nulle part où aller à la veille de Noël ont quelque chose de réellement attendrissant et grave : ils sont les symboles d’une Amérique profonde contemporaine, empêtrée dans ses traditions et ses principes, essayant désespérément de cacher l’envers du décor. On ne peut s’empêcher de penser à Fargo des frères Coen ou à Un plan simple de Sam Raimi (décors et période identiques) qui usaient avec délice du même thème des losers perdus dans une Amérique bien-pensante. Certes, Harold Ramis sait inventer des personnages attachants (et qui plus est, campés par de très bons acteurs), mais il se perd ici dans une succession de scènes sans grand intérêt ni réelle logique qui rendent le scénario inutilement alambiqué.
La vraie réussite de Faux amis réside dans le point de vue du réalisateur sur la ville. Ramis s’attarde sur la façade clinquante de Wichita, le strass de ses guirlandes et le kitsch des couleurs mordorées de Noël. Mais en empruntant une ruelle transformée par la pluie givrée, il révèle ce qui sera l’esthétique de tout son film : un point de vue glaçant qui englue les personnages dans leur petit univers doré et artificiel. Harold Ramis filme, ici, la fatalité. Quoi que ses personnages entreprennent, le réalisateur resserre son étau ; pessimiste comme à son habitude, Ramis confirme qu’il n’est pas si facile de tourner le dos à son quotidien et à son destin.
Avec Faux amis, Harold Ramis tente une première incursion dans l’univers du polar et du film noir avec, hélas, beaucoup de lourdeurs scénaristiques. Mais le talent singulier du réalisateur pour les dialogues arrosés à l’humour froid réussit à sauver l’ensemble. Et le regard juvénile de John Cusack, qui apporte une jolie tristesse à son personnage de gangster, finit par emporter l’adhésion…