Ça devait arriver : voilà Judd Apatow produisant le réalisateur auquel, dans En cloque, mode d’emploi, il avait confié un rôle à la portée symbolique pour le moins limpide – le père du personnage principal. La promesse d’un renouveau pour celui qui, responsable du culte Ghostbusters et du merveilleux Un jour sans fin, avait commis, depuis, quelques comédies moins mémorables ? Las, en dépit de quelques talentueux représentants de la « nouvelle comédie américaine », le retour en grâce du père spirituel n’est pas au rendez-vous.
Que devient la comédie américaine, qui, quoique sa distribution en France obéisse à des règles tout à fait mystérieuses, a fait l’objet ces dernières années d’une attention critique particulière grâce aux Farrelly, Myers et autres Apatow ? Le film-tendre-de-potes-adulescents, jusqu’alors amarré au nom de ce dernier, vogue désormais grâce à d’autres producteurs (voir I Love You, Man, film charmant sorti en douce cet été et malheureusement passé sous silence sur ces pages), tandis qu’Apatow lui-même explore de nouveaux territoires. Parmi eux, cette tendance assez inquiétante par laquelle le burlesque – fondé depuis toujours sur le rapport violent ou scatologique entre un corps et son environnement, mais reposant jusqu’alors sur la capacité de résistance de ce corps – se transforme en recours à une brutalité réaliste, sans détour, causant la douleur et la mort, où une possible pensée de la violence et du corps s’efface derrière un rire jaune (Délire Express, Very Bad Trip ou encore Observe & Report avec Seth Rogen et Anna Faris, inédit en France).
Autre tentation : la parodie, ou du moins l’acclimatation de l’abattage comique des géniales recrues de Saturday Night Live à des films de genre à gros budget, comme cet An 1, film préhistorique virant péplum. Deux écueils au moins à cette tentation (sur lesquels, à vue de nez, semble s’échouer le prochain Will Ferrell, Le Monde (presque) perdu) : 1° la dilution pure et simple de l’humour dans la logique du scénario, de la machinerie et des effets spéciaux ; 2° la pochade qui rend obsolète, sinon obscène, l’utilisation d’autant d’argent pour pas grand-chose. L’An 1 échappe au premier travers, grâce, entre autres, à ses acteurs (mention spéciale au divin Michael Cera, dont le débit aigre-doux de puceau blasé, s’il ne se renouvelle pas, mettra sans doute du temps à nous lasser), mais ce n’est pas suffisant pour éviter le second.
Ce qui s’annonçait comme une relecture irrévérencieuse de l’Ancien Testament s’achève dans une orgie décoratrice inutilement dispendieuse. Entre-temps, assez peu d’inventivité et pas vraiment de subversion dans le détournement des épisodes phares de la Bible. Comme d’habitude dans la comédie américaine, un humour foncièrement masculin et hétéro sachant faire à l’occasion de sa hantise de la femme et de l’homosexualité un sujet propice aux troubles et aux audaces, et pas seulement un inconscient immuable. Avec en prime, ici, un peu d’humour juif, pas mal de scatologie et un panorama assez complet des formes de lâcheté et de traîtrise humaines. La conduite du récit, consistant en un enchaînement pépère de rencontres, se présente de prime abord comme l’atout du film, lequel échappe dès lors aux codes ou aux règles dramaturgiques ceinturant la quasi-totalité de ces comédies (même les meilleures, qui s’en sortent en général non pas tant en les détournant qu’en les assumant pour faire valoir autre chose – une sensibilité, un trouble, un vacillement dans l’ordre des choses). Mais l’atout se retourne bien vite en faiblesse : la nonchalance s’avère mollesse, Ramis se montre totalement à la ramasse question mise en scène et même si l’épilogue s’avère moins donneur de leçons que prévu, on en vient à regretter la rigueur des films plus balisés… Il n’y a maintenant plus qu’à attendre, non sans un brin d’anxiété, Funny People, annoncé comme le film où Judd Apatow fait le point sur la comédie américaine contemporaine…