Avec Phil Connors, présentateur météo égocentrique et misanthrope, Bill Murray a trouvé dans Un jour sans fin l’un de ses rôles emblématiques de dépressif, avec son air blasé qui produit dès les premières séquences du film une impression ambivalente : transparaît tantôt l’affectation du sérieux professionnel, tantôt la lassitude d’un individu à bout de souffle. Déjà mal en point, son personnage est rapidement mis à rude épreuve : alors que Phil est envoyé comme chaque année à Punxsutawney, une bourgade de Pennsylvanie, pour y couvrir le « jour de la marmotte », il s’y retrouve bloqué dans une boucle temporelle qui l’oblige à y revivre indéfiniment la même journée. Un jour sans fin se meut alors en fable sur le caractère étouffant de la routine, mais aussi sur les vertus paradoxales de la répétition. La logique du film consiste en effet à pousser cette dernière jusqu’à sa forme la plus paroxystique pour qu’elle devienne vectrice d’une transformation radicale : c’est précisément en se confrontant enfin à l’inertie de son quotidien que Phil parvient à s’en rendre de nouveau maître.
Un jour sans fin s’illustre par sa capacité à figurer le sentiment d’étrangeté éprouvé par Phil, seul au monde à réaliser que chaque journée se déroule de la même manière que la précédente. Plutôt que de mettre en scène mécaniquement les séquences en répétant les mêmes effets, Ramis choisit de multiplier les angles et les échelles de plan pour traduire le vécu ambivalent de Phil, prisonnier d’une série de situations identiques qu’il aborde toutefois avec le souvenir des précédentes itérations. Une tension entre répétition et différence structure le film : lorsque la journée se répète pour la première fois – un véritable cauchemar pour Phil –, Ramis filme la scène dans un zoom arrière similaire à celui utilisé lors de la matinée précédente, tandis que le réveil est cadré différemment à chaque nouvelle matinée à partir du moment où Phil décide de mettre la situation à profit. Après ce basculement, Un jour sans fin délaisse le motif de la lassitude pour transformer les journées qui se succèdent en autant de « répétitions », cette fois au sens théâtral du terme, puisque le personnage cherche à jouer son rôle de mieux en mieux. Dans un premier temps, cette situation rend possible tous les excès. Phil s’en sert notamment pour tenter de séduire sa productrice, Rita (Andie MacDowell), en corrigeant à chaque fois le tir pour devenir un peu plus l’homme dont elle rêve. Lors de ces séquences, le montage s’accélère subitement : d’un côté les passages obligés de la journée sont escamotés, de l’autre les multiples tentatives de Phil pour se perfectionner s’enchaînent, traduisant le pouvoir auquel accède le personnage, devenu maître du rythme et de son destin qu’il semble enfin parvenir à contrôler.
L’extravagant Mr. Connors
Animé par un certain plaisir de la transgression lorsqu’il exploite le cadre restreint d’une journée comme un espace de jeu, Un jour sans fin s’achemine toutefois vers une conclusion humaniste à la Capra. Face à l’échec récurrent de ses tentatives auprès de Rita, Phil réalise que la seule bonne façon d’utiliser le pouvoir conféré par sa situation est de se dévouer à l’amélioration du sort des autres plutôt que de les duper. Sa fine connaissance des habitants de Punxsutawney lui permet alors de devenir, en l’espace d’une seule journée, un bienfaiteur et même une véritable mascotte de la ville, dans des séquences qui évoquent presque les dernières scènes de La Vie est belle. Mais si dans ce dernier, George Bailey devait reparcourir toutes les étapes de sa vie pour réaliser à quel point, en dépit de son sentiment de médiocrité, il avait été un homme digne et généreux, la morale d’Un jour sans fin diffère : il s’agit au contraire pour Phil de devenir cet individu exemplaire, ce qui implique de se confronter à sa propre bassesse pour la dépasser. Légèrement simplificatrice, cette trajectoire rédemptrice n’empêche toutefois pas Un jour sans fin de s’inscrire comme un héritier à la fois modeste et fidèle des grands contes moraux hollywoodiens.