Félix et Meira est le récit d’une rencontre inhabituelle. Une jeune mère juive hassidique étouffe au sein de sa communauté dans le quartier du Mile End à Montréal et rencontre un héritier québécois, indolent et bohème, revenu dans sa ville natale à la suite du décès de son père. Cette rencontre ne sera pas passionnelle mais profonde et salvatrice pour ces deux êtres à la dérive en quête d’une issue de secours. Maxime Giroux, jeune réalisateur québécois dont les deux derniers films Demain et Jo pour Jonathan n’ont été visibles qu’en festival, a reçu pour son nouveau film le Prix du Meilleur Film Canadien au Festival du film de Toronto (face à Mommy de Xavier Dolan, rappelons-le). Si le film lorgne du côté de la comédie romantique, il est teinté d’une incommensurable mélancolie qui lui confère une douceur amère singulière.
Silence is golden
De la comédie romantique, Maxime Giroux ne conserve finalement que le carcan pour déployer la trajectoire de ses trois personnages principaux : la femme, l’amant et le mari. Les deux amants vont se rencontrer, s’acclimater, s’aimer, être découverts, et fuir. Au sein de cette structure fort classique, le réalisateur s’intéresse surtout à disséquer les étapes qui forment l’attachement à l’autre et que les choix qui bouleversent une vie. Ainsi, une grande pudeur enrobe le film : pas d’envolée lyrique ni de déclaration passionnelle mais une délicatesse de ton permanente qui s’illustre jusque dans les lumières du rude hiver canadien, tour à tour ternes et diaphanes. Ces lumières ne sont pas sans rappeler les films new-yorkais et mélancoliques de James Gray. Le silence est de mise, une caresse est sensualité, les regards en disent long. Félix et Meira se parlent peu mais se comprennent vite. Ce mode de communication culminera dans une des plus belles scènes du film où les deux hommes de Meira se font face pour discuter de l’avenir de la femme qu’ils aiment. Le champ/contre-champ qui met en scène leur opposition cède la place à un plan d’ensemble où l’entente entre les deux hommes s’installe progressivement. Le destin de Meira est alors scellé dans un duel de regards.
En revanche, lorsque le silence est brisé, la communication est rendue compliquée par les différentes langues qui se croisent : on parle yiddish dans la communauté et anglais ou français avec le « monde extérieur ». C’est apparemment en voulant en savoir plus sur le milieu juif hassidique – que le réalisateur observait depuis dix ans dans le quartier du Mile End – que le scénario du film est né. Si celui-ci donne un aperçu des rituels de cette communauté, il ne bascule jamais dans les travers du documentaire.
Reconstruction
La jeune Hadas Yaron est d’une justesse inouïe dans l’incarnation de ce personnage doucement rebelle, étouffant au sein d’une communauté qui l’empêche de vivre normalement (écouter de la musique, porter un jeans, ne pas porter de perruque…). Sa transformation n’est pas éclatante mais tout en nuances, à l’instar du film dont le rythme général est une lente progression dans son déploiement des sentiments (d’ailleurs, dans la seule séquence où le film essaye de briser ce rythme lorsque Félix se travestit en juif hassidique, le film frôle le ridicule). Le film change de tonalité le temps d’une séquence à New York où l’intimité entre les deux amants naît véritablement. La nuit new-yorkaise prend le pas sur le gris diurne et les lumières de Times Square explosent ouvrant une infinité de possibles. Mais ceci n’est qu’un éclat au sein de ce récit doux-amer qui, plus qu’une simple histoire d’amour, illustre une tentative de reconstruction commune. Tentative que le film questionne jusqu’au bout dans ce dernier plan muet à la fois triste et angoissant (ironiquement, il a lieu à Venise, la ville des amoureux), où aucune parole ne peut traduire ce questionnement fondamental auquel seul le temps peut répondre : peut-on espérer recommencer à zéro ?