Pierre Carles voudrait bien être le fer de lance de la critique des médias iconoclaste et dérangeante. Mais qu’entend-on ici par critique ? L’ancien reporter d’Ardisson et de Dechavanne reprend à son compte tous les vices d’une télévision accaparée par le divertissement publicitaire qu’il dénonce, et ne produit en fait rien d’autre qu’un pamphlet parfois drôle, souvent irritant, toujours lapidaire, négligent, et écrasé par l’omniprésence de Pierre Carles lui-même.
Réaliser aujourd’hui un reportage sur le renouvellement de la concession de TF1 n’est pas des plus faciles : auréolée d’un audimat sans pareil s’il est déclinant, soutenue à chaque étape de sa création depuis 1986 par les différents gouvernements, la chaîne de Nonce Paolini, vitupérée dans la presse culturelle, a pourtant gagné haut la main le pari de la privatisation. Chaîne de droite, chaîne de l’abêtissement, chaîne des puissances financières servant la soupe aux politiques conservatrices… les qualificatifs sont nombreux. Pierre Carles pose donc une question simple : pourquoi cette fameuse concession est-elle renouvelée depuis vingt ans sans que personne ne mette en doute sa légitimité ? Le projet est audacieux, la mise en pratique est pour le moins douteuse. Voir Bernard Tapie expliquer lors des auditions préalables à la privatisation que TF1 sera une chaîne de culture et de diversité, laissant une place de choix aux œuvres de Messiaen et Ravel, ne manque pas de saveur. Mais, si ces images ont une valeur intrinsèque, elles ne sont là que pour servir la méthode du pamphlétaire. Et c’est bien cette méthode qui pose problème. Pierre Carles ressemble beaucoup aux rois de la parabole surmontée (Canal Plus et consors) qui ont envahi les écrans et demeurent, quoique Carles, persuadé d’être seul au monde à dénoncer les travers de la lucarne, en dise, parfaitement intégrés à l’idée que tout doive faire rire, et par n’importe quel moyen.
D’une part, Pierre Carles met absolument toutes ses sources sur le même plan : archives télévisées, archives politiques, extraits de ses précédents films… tout se vaut. Le problème que pose ce genre de maelström tient au fait que, dans la bataille, la puissance évocatrice et révélatrice de certaines images disparaît ; à force de montage, d’accumulation, de répétition assénée, tout discours devient trouble et irréfléchi. Quand une archive est mise sur le même plan qu’un gag potache en pleine rue, quelle est l’utilité de l’archive elle-même ? D’autre part, dans Fin de concession, toute image qui ne provient pas directement de la caméra de son auteur est illustration. Car on soupçonne assez rapidement Pierre Carles d’être le sujet favori de son propre film. La majeure partie de celui-ci n’est donc pas dirigée par ce qui est montré, mais par ce qu’en dit le réalisateur : la voix off est omniprésente, étouffante ; quand il ne commente pas, Carles passe dans le champ, se replace au centre, comme pour rappeler une position de deus ex machina bien rodé aux systèmes des Karl Zéro, Michael Moore et autres fanatiques du coup de poing permanent. A lui la place du héros, aux autres celle des bouffons. Il ne s’agit pas ici de dénoncer, et d’apporter la preuve de ce que l’on pressent, d’enquêter et de remettre en question, il s’agit d’asséner, de marteler.
Car les résultats de l’enquête sont faibles, voire nuls. Sa méthode d’entretien se résume au harcèlement des journalistes : si l’on n’a que peu de pitié pour des oligarques comme Etienne Mougeotte ou Charles Villeneuve qui se retranchent rapidement dans le déni, force est de constater qu’il leur est difficile d’aligner plus de trois mots sans que Pierre Carles n’intervienne. De fil en aiguille, ce dernier en vient même à créer des parallèles assez douteux : par exemple, Villeneuve est louche car il porte des mocassins alors que Carles est en sandales. Il ne recherche dans ce flux d’entretiens ratés ni la confession, ni la vérité, mais l’embarras et l’humiliation. Celui qui se présente en trublion prophétique n’est pas en quête de fond, d’éléments rationnels appuyant une thèse, il s’enivre de séquences courtes, cinglantes, mais très pauvres intellectuellement. Fin de concession agit comme une longue bande-annonce qui ne tient jamais ses promesses. Apparait finalement un désir de reconnaissance qui pousse Pierre Carles à reprendre en permanence ses anciens films, ses anciens reportages ‑qui constituent presque le tiers du film‑, comme s’il étalait un CV pour prouver son engagement. Mais, dans tout cela, TF1 sort gagnante : fallait-il vraiment faire un film de deux heures pour en arriver à la conclusion que Mougeotte, Tapie et Le Lay sont des cyniques ? Non. Et, comme pour justifier l’entreprise foireuse, Fin de concession s’achève sur une action retentissante : la petite bande va peinturlurer le scooter de Pujadas ‑qui donne la messe sur France 2‑, élu « roi des larbins ». Qui cela fait-il trembler ? Personne, surtout pas TF1. Qui cela fait-il réfléchir sur l’omnipotence de la chaîne privée ? Personne. Qui cela fait-il rire ? Pierre Carles, et tout ceux qui oublieront vite après la projection l’argument de départ, et le problème, réel, posé.