Pierre Carles et ses deux acolytes Stéphane Goxe et Christophe Coello passent en revue divers îlots de résistance au capitalisme, des communautés de néo-hippies rurales aux maisons écologiques, en passant par Barcelone et ses groupes organisés de squatteurs et de « faucheurs ». Non exempt de manichéisme et de raccourcis, le documentaire a tout de même le grand mérite, à deux mois des élections, de questionner notre rapport collectif à l‘argent et au travail. En ce sens, il plonge directement ses racines dans le bouillon de culture des années 1970, mais va davantage puiser du côté d’un libertarisme foutraque à la L’An 01 de Gébé et Doillon que du côté des films militants de la période, plus carrés et démonstratifs. En gros, il s’agit de tirer des perspectives plutôt que de bâtir un programme.
C’est un film volontairement manichéen, puisqu’il y a d’un côté les méchants : les patrons (conduits par l’Antéchrist – autrement dit le président du CNPF – Denis Kessler – puis le « tueur » du Medef – Ernest-Antoine Seillière), le salariat, la consommation, Sarkozy, l’armée, la marchandise, la grande distribution, la mondialisation, les chantres du libéralisme, les CRS, l’armée, EDF, l’ANPE, les contrôles d’attribution du RMI. Et de l’autre, il y a tous les personnages de Volem rien foutre al païs.
Eux, c’est « ceux » qui croient et font croire qu’une maison, c’est 800 000 balles, qu’on ne peut pas se passer de transformateur EDF, qu’il faut être raccordé au système d’égout commun, qu’on est obligé de changer de voiture tous les trois ans, qu’il faut travailler pour vivre, etc. Ceux de Volem rien foutre al païs montrent, à l’inverse, que l’on peut construire une maison en bottes de paille à 8 000 balles, qu’on peut vivre à l’énergie éolienne et solaire, qu’on peut économiser l’eau grâce aux toilettes sèches, qu’on peut pratiquer l’autosubsistance, se mettre en marge du marché, et arrêter de travailler, qu’il est possible de réduire sa consommation en pratiquant le bricolage et le recyclage, etc.
C’est sous les mânes de Pompidou promoteur du libéralisme que s’ouvre le documentaire : « Nous sommes donc en risque permanent et le gouvernement en est parfaitement conscient. Son rôle n’est pas d’encourager les gens à la paresse en vivotant à l’abri de protections. » Voilà l’ennemi, et de fait, l’idée centrale du film, c’est l’idée du conflit : ça commence sur une manifestation devant une usine, puis aussitôt c’est le siège du Medef à La Rochelle qui brûle. Le traître, c’est alors Rocard qui se rend à l’assemblée du Medef et qui déclare que « la lutte des classes a fait son temps ». Bref, le clivage eux (le système) / nous (les autres, les altermondialistes, les écolos, les marginaux) qui parcourt tout le documentaire, est forcément un clivage bellogène.
Cela donne d’ailleurs lieu à un de ces traits d’humour caractéristiques du ton du film – Pierre Carles interviewe MAM ministre de la défense, après une démonstration de force militaire en milieu urbain : « si tous les RMIstes s’arrêtent de travailler, est-ce que vous enverrez l’armée ? » Et la séquence dans les locaux de l’ANPE est également, à cet égard, irrésistible. Donc, le second degré est une arme. Le montage en est une autre : aux ouvriers qui se battent devant l’usine sont accolées des images de carcasses de porcs défilant à la chaîne à l’usine – incarnation même du troupeau exploité jusqu’à la moelle. Lorsque Carles interpelle Kessler (président du CNPF) sur Action Directe, il s’arroge le dernier mot, grâce au montage, face caméra, dans sa voiture, après que ce dernier a coupé court : « est-ce qu’il n’y a pas une violence que vous exercez, vous, au hasard, qui peut se retourner contre vous, voilà ce que j’aurais dû dire. »
La grande force du film est, comme ses auteurs le soulignent, de ne pas proposer de réponses idéologiques toutes faites, de solutions clé en main. Les possibles eux-mêmes, à partir de la critique de la valeur-travail et des échanges monétaires, sont hétérogènes. Certains relèvent du retrait pur et simple, individuellement à la Thoreau, ou au sein de communautés où les cheveux gras et les débats à base de concentré de Marx/Stirner/Fourier/etc. seront de rigueur. D’autres sont plus subversifs comme le mouvement barcelonais « Dinero Gratis », qui dans un esprit très proudhonien prône le vol à tout-va, organisant de grands happenings de « fauchage » dans les magasins de fringue ou les supermarchés : puisqu’ils ont travaillé pour créer tous ces produits, disent-ils, ils ont le droit de se les réapproprier. De même, les voilà qui squattent les appartements abandonnés de la ville avec le soutien des voisins de l’immeuble promis à une destruction imminente. C’est précisément un effet de mise en abyme par le montage qui permet de relier les deux types d’expérience : le film sur Dinero Gratis qui se trouve à l’intérieur du documentaire est lui-même projeté pendant le film à une communauté en France.
Volem rien foutre al païs est donc un documentaire délibérément désordonné, un « bricolage séditieux » comme l’écrit Noël Gaudin sur www.rienfoutre.org, avec des images récentes ou d’il y a huit ans, et qui mélange les initiatives les plus disparates, politisées ou non, pragmatiques ou utopistes, rurales ou urbaines, individuelles ou collectives, etc. On fait juste un pas de côté, on arrête tout, comme disait Gébé dans L’An 01 – l’affaire est donc très sérieuse mais n’empêche pas qu’elle soit pétulante et foutraque.