Réalisé par Christophe Landon, Freaky recycle la recette d’Happy Birthdead, son précédent long-métrage : croiser le dispositif original d’une comédie à succès (ici, le body swapping de Freaky Friday, là la boucle temporelle d’Un jour sans fin) avec un sous-genre du cinéma d’horreur, le slasher, aux codes autrement balisés. Manière de raviver l’intérêt pour ce dernier tout en tournant en dérision ses automatismes sur un mode souvent scatologique. Par là, Freaky s’inscrit aussi dans la lignée de Scary Movie, qui se présentait comme un Scream au carré ou comme sa version dégénérée – moins relecture post-moderne du genre que parodie bouffonne, exhibant crûment ce qu’il avait vocation à suggérer ou thématiser, en particulier sur le terrain de la sexualité réprimée des adolescents. Chaque numéro de la franchise avait son protocole : d’abord distiller la peur, en livrant un pastiche d’une scène « culte », pour la faire basculer ensuite dans le comique graveleux, cuisiné à la façon d’une American Pie. Force est de reconnaître qu’à côté de son illustre devancier, Freaky fait preuve d’une certaine retenue. Certes, il ne lésine pas sur les séquences gores et assume pleinement son humour régressif (« We’re going to see Wicked at the Anus Theater » : tout un programme !), adresse quelques clins d’œil paresseux au spectateur (un plan de Shining, par exemple), mais il entend aussi proposer un divertissement sensible au renouvellement des questions de société et à la réception des films par un public plus « éveillé », sans rien retrancher de son mauvais esprit. Est-ce à dire que Freaky est un Scary Movie « woke » ? Et dans ces conditions, le pari de la transgression peut-il être tenu ?
En vérité, Freaky s’attèle moins à « déconstruire » consciencieusement les codes du genre (une réplique, tout au plus, en verbalise les enjeux : « You’re gay, I’m black, we’re gonna die »), ou à remplir un cahier des charges (l’argument polémique du pink washing : l’héroïne a pour acolytes une jeune fille noire et un adolescent gay), qu’à faire de cette « déconstruction » un moteur comique. C’est avant tout une affaire de pitch : Millie (Kathryn Newton) et son agresseur, un psychopathe qui fait régner la peur sur la ville, se retrouvent dans la peau l’un de l’autre à la suite d’un mystérieux événement impliquant une dague ensorcelée. La promesse du film est à moitié tenue : Vince Vaughn, tout en masse, s’en donne à cœur joie en mimant une adolescente complexée, quand la réciproque est peu matière à comédie. Cette attraction sert de prétexte à une série de quiproquos mais endosse également une dimension carnavalesque. Se retrouver quelques heures dans le corps d’un « mâle blanc » poussé à sa caricature suscite chez Millie un sentiment d’empowerment ; elle a paradoxalement le sentiment de se réapproprier son corps en le regardant habité par un autre ; la réaction des différents personnages traduit un nouveau rapport à l’identité de genre, aux orientations sexuelles… – autant d’idées qui sont très littéralement formulées, avec la balourdise qu’on était en droit d’attendre, mais non sans offrir quelques scènes gentiment décalées (notamment une séquence de premier baiser entre Millie, toujours incarnée par Vince Vaughn, et son amour de lycée). Si le film s’autorise quelques effets de montage plus trash (notamment dans sa séquence introductive), on regrette que sa verve comique demeure finalement bien timorée.