Combien de fois le fan compulsif de film d’horreur peut-il regarder au cinéma une jolie actrice se faire trucider par un tueur masqué ? Le succès inépuisable du slasher (ce sous-genre du cinéma d’épouvante né avec la scène de la douche dans Psychose), jamais démenti depuis que John Carpenter en a signé le classique absolu avec Halloween, a vu passer nombre d’itérations plus ou moins réussies au gré des décennies. Wes Craven l’a réactivé en fable méta avec le premier Scream en 1996, et même si de nombreuses variations ont permis de mettre un peu de créativité dans une machinerie de plus en plus rouillée (le plus bel exemple récent, It Follows, incarnant son versant low-fi, presque contemplatif), le genre semblait à bout de souffle. Jason Blum, le nouveau wonder-boy du cinéma d’horreur (on lui doit le retour de Shyamalan et l’énorme succès de Get Out), vient apporter sa pierre à l’édifice avec Happy Birthdead, hélas moins enthousiasmant que ce que sa folle bande-annonce ne laissait espérer.
Prenons donc Tree, une blonde insupportable (Jessica Rothe, très drôle), étudiante superficielle et méprisante (rassurons-nous, elle souffre d’un trauma familial qui explique sa méchanceté chronique). La jeune femme se réveille dans le lit d’un garçon qui en pince pour elle, après une soirée très arrosée. Bien qu’il ne se soit rien passé entre eux, c’est suffisant pour la mettre en rogne pour le reste de la journée. Laquelle s’annonce chargée : entre son amant (qui est accessoirement aussi son prof), ses « copines » mauvaises à souhait et sa coloc un peu nunuche, elle en oublierait presque que c’est le jour de son anniversaire. Une fête est prévue le soir-même, mais en s’y rendant, Tree tombe nez à nez avec un tueur masqué qui lui règle son compte. C’est déjà fini ? Et non : à peine la lame du couteau de son agresseur a‑t-elle transpercé le corps de notre héroïne que celle-ci se réveille… dans le même lit que le matin. C’est donc reparti pour un tour, et tel Bill Murray dans Un jour sans fin, Tree est condamnée à revivre la même journée et à mourir sous les coups du mystérieux serial-killer à l’infini. À moins qu’elle ne trouve qui la traque, et pourquoi.
Dead again
Reprendre le concept de l’une des meilleures comédies de ces trente dernières années n’est pas une nouveauté : Doug Liman l’a merveilleusement soumis au traitement SF dans Edge of Tomorrow, où Tom Cruise affrontait des extra-terrestres en étant enfermé dans une boucle temporelle lui permettant de revenir ad nauseam. Mais l’approche de Liman rapprochait plus le film du jeu vidéo (mourir et ressusciter pour mieux maîtriser une technique guerrière et gagner la partie), là où le film de Harold Ramis soumettait Bill Murray à une crise existentielle doublée d’un fantasme universel : et s’il était possible de tout recommencer, que ferions-nous différemment ? Happy Birthdead reprend les enjeux ludiques de Edge of Tomorrow en les transformant en Cluedo géant : Tree doit trouver l’identité du psychopathe qui veut sa peau et le tuer avant qu’il ne le fasse, et son enquête la mènera forcément à réévaluer sa vie, son attitude et ses erreurs. C’était déjà le sujet d’Un jour sans fin, qui passait l’esprit de Capra à la moulinette de l’humour du Saturday Night Live. Dans Happy Birthdead, Capra a disparu pour laisser place à une succession de blagues potaches et d’une morale gentiment convenue qui colle aux attentes d’un public adolescent biberonné à des séries comme Pretty Little Liars ou Riverdale.
Les péripéties répétées de Tree se laissent regarder sans déplaisir mais sont totalement dénuées de toute ambition esthétique ou même narrative. Il s’agit moins ici de livrer un commentaire sur le genre (à la façon des Scream) que d’affirmer la coolitude du film de façon entendue et détachée, comme si pour le réalisateur (un tâcheron de l’écurie Blum, aux manettes de trois Paranormal Activity) la répétition absurde des scènes s’apparentait à remonter dans un train-fantôme duquel on vient juste de descendre. L’effet est le même : plus Tree revit sa journée et avance dans son enquête, moins les multiples variantes de sa mort ne provoquent de frissons — le film assurant, dès sa première scène, un minimum syndical qui se transforme progressivement en ennui pur et simple. Ne reste plus à Happy Birthdead qu’à être une simple comédie (comme si rires et frissons étaient incompatibles — Wes Craven doit se retourner dans sa tombe) et à jouer la surenchère sans la moindre conviction. Il faut bien tout l’abattage de Jessica Rothe, dont le joli minois archi-expressif offre au film ses moments les plus délicieusement burlesques, pour ne pas totalement oublier ce ratage après visionnage.