« Il est sûr que pour pouvoir juger ce film puis, pourquoi pas, l’apprécier, il faut tout d’abord s’ouvrir et replonger dans l’enfance et ses rêves de liberté et d’amour magique » : c’est la recette obligeamment avancée par une lectrice du site pour goûter la moelle de High School Musical 3. Gageons qu’il eût fallu les mêmes conditions pour apprécier Hannah Montana, le film, recette dont les ingrédients échappent hélas à votre serviteur. Résultat sans appel : fabriqué et sans une once de spontanéité, le film apparaît avant tout comme une bonne vieille production Disney aux valeurs réacs et à l’ambition artistique nulle. C’est pour enfant ? Et alors ?
Résumé des épisodes pour ceux qui n’ont pas été atteints par le phénomène Hannah Montana : la belle petite est une créature télévisuelle, phénomène fabriqué par la firme Disney pour soulever l’enthousiasme du public pré-adolescent féminin. Miley Stewart, une mignonne adolescente brunette, se révèle avoir, à l’insu de tous, une autre personnalité, artistique celle-ci : Hannah Montana, l’idole des jeunes. Pendant un nombre respectable d’épisodes, la corde scénaristique sortie de cette unique idée sera tirée avec force, enrichie de quelques ajouts pour faire remonter la mayonnaise : Miley / Hannah a une amie qui connaît son secret, elle se fait poursuivre par un odieux paparazzi adipeux… Et tout va bien dans le meilleur des mondes, pour Miley comme pour Disney, qui fait sonner le tiroir-caisse avec une kyrielle de produits dérivés de tous ordres.
Hélas, toutes les choses ont une fin – et Miley Cyrus a exprimé l’envie d’aller voir sous d’autres cieux si elle y était. Histoire de bien sécher la vache à lait, Disney décide donc de finir l’aventure sur grand écran, en beauté, et parce que le merchandising grand écran + DVD est quand même plus lucratif que la version télé. Nous voici donc à suivre les pas d’Hannah Montana, de moins en moins capable de concilier la vie de pop idol avec celle de jeune fille normale. Pour preuve : au lieu de se rendre à l’anniversaire de sa meilleure amie, elle préfère faire une bataille de chaussures avec Tyra Banks, une autre créature rendue bankable outre-Atlantique. Pour son père, qui observe le comportement de sa fille, la coupe est pleine, et il est temps qu’elle réapprenne les vraies valeurs. Le jour où la petite pique une crise pour se rendre à une remise de prix audiovisuels où elle est conviée, il s’arrange pour que son avion la dépose, sur le chemin, dans son bled natal, Crowley Meadows.
Les Vraies Valeurs : ça faisait longtemps que Disney ne nous avait pas servi cette soupe-là – pas, en tous cas, dans ce style inimitable que nos lecteurs de moins de 20 ans ne peuvent (probablement) pas connaître. Ce style, c’est le style Étalon noir / Natty Gann des après-midis du Disney Channel, les édifiantes fictions télé à gros budgets dont la grammaire visuelle visait avant tout à proposer un réseau de conventions narratives lénifiantes autour de l’idée qu’être différent du modèle promu par Disney, c’était mal. Et le modèle Disney, il est simple, voire simpliste : les gentils sont toujours beaux (même si parfois sous des couches de crasse improbables), les méchants toujours laids et/ou grotesques (et par extension, les laids/grotesques sont toujours méchants) ; les gentils sont ceux qui portent les valeurs d’une Amérique WASP bon teint – la liberté et la tolérance mais uniquement lorsque ces valeurs ne sont pas mises à l’épreuve du feu de situations plus problématiques que le propos du film (généralement un truc politique du genre : « Non, ne volez pas la liberté de mon cheval sauvage !»).
Dans le livre Princess Bride, William Goldman parsème le récit d’anecdotes de son enfance. Dans l’une d’entre elles, le narrateur raconte comment il vient de se faire battre dans un sport quelconque par un petit camarade qui, très Disney, lui assure que « c’est pas grave, la prochaine fois, tu gagneras ». Mais la mère de l’intéressé, entendant ça, a vite fait de lancer au jeune garçon que tout cela est faux, et qu’il sera très malheureux dans la vie s’il croit qu’on arrive toujours à ses fins parce que la vie est juste. « Ce n’est pas que la vie est juste », lui dit-elle, « elle est seulement un tout petit peu moins injuste que la mort. » Une leçon de sagesse qui permet au narrateur d’apprendre, tôt et c’est tant mieux, que l’ironie et l’humour valent mieux que la croyance rose bonbon que le monde est tel que le monde manichéen affectionné par Disney.
On nous objectera, comme de nombreuses personnes le font déjà sur nombre de forums, que le propos n’est pas là, que Hannah Montana c’est du cinéma pour les petites filles qui rêvent « de liberté et d’amour magique ». Nous rétorquerons à ces partisans de la moindre polémique que le cinéma ne se détermine pas par catégorie d’âge, mais tout au plus par catégories de sensibilité − et que pour se former une sensibilité cinématographique, il vaut mieux tourner le dos aux produits formatés sans la moindre ambition artistique, ce qu’Hannah Montana, le film est sans conteste. Aucun art ne devrait avoir à courber l’échine devant les questions mercantiles autant que ne le fait Hannah Montana, le film. Tous nos vœux de courage à Miley Cyrus si elle tient vraiment à se lancer dans autre chose que la saga imbécile qui l’a fait connaître, car avant de tout apprendre, elle aura bien des choses à désapprendre…