Critique est, c’est bien connu, un métier de malveillant. Aucun réalisateur, aucun producteur ne sait mieux cela que ceux impliqués dans les plus caricaturaux des films familiaux, ces productions au discours lénifiant et benoîtement choupinet, tellement engoncées dans un politiquement correct sclérosé qu’elles se ressemblent toutes. Certes, Hatchi vise plus loin – au moins une place au panthéon du genre, grâce au topos bien connu des scénaristes en manque d’inspiration : le chien, bouée de sauvetage des films qui prennent l’eau. Ça en deviendrait presque trop facile.
Il est des axiomes du mode narratif qui sont immuables. Par exemple, dans la narration cinématographique : lorsqu’on vous présente dans un premier temps un protagoniste dont l’étonnante spécialité est de savoir tout faire avec un chewing-gum usagé, puis un autre qui a été recueilli dans son enfance par une famille de loutres – vous pouvez être sûr que la bombe menaçant le monde de destruction pendant le climax n’aura qu’un seul point faible, et que cela impliquera l’utilisation d’un chewing-gum usagé. Et que la porte pour accéder à l’engin sera gardée par une loutre. C’est comme ça. De la même façon, tout bon scénariste connaît la recette : quelle que soit l’ineptie de votre scénario, mettez‑y un chien, et tout ira bien.
L’équipe de Hatchi a bien retenu la leçon : tant qu’à faire un film avec un chien, autant le faire sur le chien. Et de nous narrer l’édifiante histoire de Hachiko, chien, d’une fidélité peu commune, d’un professeur de musique. Habitué à venir chercher l’enseignant à la sortie de son train, le brave chien continuera pendant une dizaine d’année après la disparition de son maître.
Évidemment, c’est « inspiré de faits réels », encore un archétype qui doit nous inciter à la méfiance, ayant souvent servi de prétexte aux facilités narratives les plus dévoyées. Une méfiance qui se révèle parfaitement justifiée, tant cet édifiant conte, benêt à en faire passer les productions Disney Channel pour du Tchekhov dépressif, se prend les pieds dans toutes les embuches attendues. Scénario axé autour des « moments de bravoure » symboliques, plans répétés sur les bonnes bouilles du chien et d’un Richard Gere pataud.
L’étonnement survient lorsqu’on s’aperçoit que, conscient de la pauvreté de leur matériau, les scénaristes ont décidé de délayer un sujet qui suffirait à peine à un sujet au JT du soir sur une heure et demie en ne racontant rien moins que… l’intégralité de la vie de Hachi, quinze ans au bas mot. Départ des gosses, mariage, enfants, anniversaires, même l’émouvante scène où finalement Hachi accepte de ramener une balle : tout y passe. Tout est plat.
On s’ennuierait ferme à attendre l’inévitable dénouement, si ce n’était pour les improbables idées de mise en scène de Lasse Hallström. Celui-ci réalise son film avec l’idée, finalement assez judicieuse, de mettre son toutou au centre de l’écran. Heureusement pour lui, la bestiole est diablement photogénique. Mais là où Hallström frise le génie, c’est lorsqu’il se pique de filmer en caméra subjective du point de vue du chien. Hachi n’étant pas le vindicatif et pervers Baxter, cela reste très sage, en noir et blanc, à la limite d’être embué par l’émotion et l’amour d’Hachi pour ses maîtres. Mais lorsque le chien se roule dans la pelouse, on assiste avec un plaisir sans partage à la même gymnastique de la part du réalisateur. En voilà un réalisateur impliqué !
Il faut beaucoup de servilité à un réalisateur pour faire un produit aussi formaté, benêt, et inartistique. Ou alors, peut-être Hallström a‑t-il pris le parti d’en rire, et de traiter ce film de commande au second (troisième ?) degré ? Faisons comme lui – c’est probablement le seul moyen de supporter le calvaire de Hatchi.