Et dire que l’on n’attendait plus grand-chose du réalisateur du Chocolat et de Hatchi ! Avec un pitch de rom’-com’ mille fois vu, avec une épouvantable tendance à filmer les chiens en caméra subjective lorsqu’ils se roulent dans l’herbe, le voilà qui est pourtant capable de nous sortir un film… correct. Et ce, même s’il persiste dans sa mise en scène animalière, cette fois du point de vue des saumons et autres carpes.
Pourtant, le projet avait tout du ratage annoncé : par exemple, on y dépeint le monde arabe comme soit un ramassis de barbus enturbannés religieux fanatiques, soit des richissimes émirs excentriques, et qui donc se piquent de créer une réserve pour la pêche au saumon sauvage en plein Yémen. Pour procurer un alibi à une romantic comedy bien dans la tradition, on aurait certainement pu trouver moins poussif, moins ambigu. Mais, pourquoi pas, semble se dire Simon Beaufoy, scénariste d’un autre grand film au racisme latent, Slumdog Millionaire. Pourquoi pas, parti comme ça, ne pas embaucher ce grand cinéaste animalier de Lasse Hallström en guise de cerise sur le gâteau ?
Pour parfaire le tout, ajoutons une dose d’ambiguïté supplémentaire, lorsque notre émir excentrique (Amr Waked) se pique de faire admettre à son ingénieur piscicole (Ewan McGregor) que son projet, pour fou qu’il soit, mérite qu’on y croie – parce que notre richissime visionnaire insiste sur un point : pêcher, c’est comme croire en dieu, c’est une affaire de foi. Même pour les matérialistes mécréants que sont les Anglais. Stigmatisation, simplisme moralisateur, voire racisme primaire : voici ce qui pointe à l’horizon de l’argument proposé par Simon Beaufoy.
Heureusement, cet argument-prétexte, tout le monde, réalisateur, acteurs et scénariste, semble s’en moquer comme de leur première canne à pêche. Une fois posée l’idée de base, Des saumons dans le désert ne va s’en servir que comme un simple levier burlesque, laissant le champ libre à ses acteurs, qui ont semble-t-il plaisir à cabotiner gentiment le long d’une route déjà tracée, d’un film qui ne dévie pas un instant de là où on l’attend.
Dommage, car l’histoire d’amour fanée d’Ewan McGregor et de son épouse, le piège sentimental qui se referme sur le personnage d’Emily Blunt (son petit ami, qu’elle ne connaît que depuis quelques jours, est porté disparu en Afghanistan, la laissant désemparée face à la fidélité qu’elle pense lui devoir) ouvrent des portes narratives intéressantes, qui ne sont pourtant pas explorées – qui servent, tout au plus, de jalons libérateurs dans le parcours romantique attendu des deux têtes d’affiches. À leurs côtés, Kristin Scott Thomas s’en donne à cœur-joie dans le rôle de la chef des relations publiques du gouvernement, femme active elle aussi caricaturale et qui n’existe que par son cynisme sans profondeur et ses bons mots de suffragette sans idéal.
Lasse Hallström se contente-t-il, lui aussi, de livrer une performance attendue, une mise en scène démonstrative au service d’une version cinématographique d’un roman Harlequin ? Heureusement, non – pas seulement. Le cinéaste, qui laissera sans doute sa marque dans l’histoire du 7ème art pour avoir osé les plans subjectifs du chien se roulant dans l’herbe dans Hatchi, ne se laisse pas démonter par le peu de potentiel cinématographique d’une caméra subjective pour poisson, et nous livre donc de fulgurantes séquences piscigraphiques, dont une délectable scène de rupture sentimentale, vue de carpes. Merci monsieur Hallström.
Le plaisir de la mécanique bien huilée d’une comédie romantique servie par des acteurs aux performances correctes sauve donc Des saumons dans le désert – et permet d’oublier à la fois sa sociologie simpliste et les écarts de sa mise en scène. En somme, une comédie romantique pour laquelle il faut savoir se contenter du minimum syndical – et dommage pour les acteurs, qui méritaient sans doute mieux que ça.