Adaptation souvent poussive du programme court de 2007, Hénaut président est traversé par quelques saillies comiques assez irrésistibles, et emmené par un Olivier Gourmet qui semble évoluer dans l’écho du récent film de Pierre Schoeller. À défaut d’être vraiment convaincante ou corrosive, l’entreprise reste sympathique.
2011 a accouché de l’une des plus brillantes réussites du cinéma français de ces dernières années, L’Exercice de l’État, première œuvre depuis des lustres à renvoyer du monde politique une vision à la fois puissante, magnétique et réaliste. Olivier Gourmet y incarnait avec virtuosité un ministre des transports dévorateur, opportuniste et jouisseur (humain, donc), flanqué notamment d’une dircom’ campée par Zabou Breitman. Le voici dans Hénaut président sur la lancée, se parodiant presque dans un exercice de délassement plus anecdotique, et dans la peau du communicant cette fois : soit Thierry Giovanni, patron d’une agence de com’ qui, jaloux d’un concurrent plus heureux, s’empare d’un aimable blaireau (Michel « Fallait pas l’inviter » Muller) dans le but d’en faire le troisième homme de la présidentielle. Soit donc Pierre Hénaut, maire d’un bled limousin, raseur impénitent frappé de folie des grandeurs, candide candidat dont la naïveté (et la mégalomanie) consiste(nt) à croire encore à la possibilité de changer les choses « depuis la base », entre deux références émues à Monnet et Jaurès.
Côté Gourmet, le rôle a changé, pas le registre. S’il joue rarement la comédie, sa force est justement dans un tel contexte de ne pas rechercher l’effet comique, de poursuivre dans la veine « salopard égoïste ». On suit ainsi la façon dont ce grand méchant loup (qui n’échappe pas non plus au ridicule) va croquer le sympathique couillon, satire pas bien neuve du tristement célèbre storytelling, lequel métamorphose un brave type sans charisme en étendard de la lutte anti-délocalisation, par la grâce d’une embrouille plutôt capillotractée. Entre deux tunnels, Hénaut président brille d’éclats comiques d’une réjouissante méchanceté – mention spéciale aux « pensées » de l’équipe de communicants sur les moules, le 21 avril et les forains, ou à une séance de maquillage hilarante. Entre deux tunnels, a‑t-on précisé, parce que cette adaptation en long métrage d’un remarquable (et remarqué) programme court pâtit d’une prévisible absence de rythme, prouvant qu’on ne passe pas sans préjudice d’un format à l’autre. Un peu languissant, cynique mais pas assez mordant, le film pèche par un grossissement qui ne pousse pas jusqu’à la frénésie farcesque et finit seulement par manquer de consistance, hésitant sans cesse entre l’échappée du sketch et la cohérence de l’ensemble. Paradoxe exemplaire, Robinson Stévenin (qui retrouve son Colonel Olivier Gourmet), spectateur de la corruption qui ronge Hénaut, excelle dans un rôle de conscience morale qui symbolise pourtant une faiblesse du film : à côté d’une belle galerie d’idiots des villes et des champs entre lesquels se faufilent quelques guests médiatiques, et en dépit de sa conclusion ou de sa constante dérision, l’ensemble reste encore un peu trop gentil, au fond.
L’autre handicap du deuxième long de Michel Muller, c’est qu’il est en définitive trop peu un film, et qu’esthétiquement cette fable affiche les caractéristiques (et les limites) du faux docu… qu’il n’est pas. Prévu pour une sortie le 21 mars, pile un mois avant le premier tour, il bénéficie de l’abattage monstrueux d’un Gourmet toujours gargantuesque, tel un sportif évoluant dans l’aura d’une performance exceptionnelle, tout en souffrant conjointement de l’ombre que porte la présence de l’acteur, laquelle vient rappeler le film majeur de Schoeller au cœur de cet objet mineur. Hénaut président ne marquera vraisemblablement pas les esprits de ses drolatiques péripéties musophobes. Il n’empêche qu’on peut louer la tentative, et souhaiter à son auteur de produire un jour le In the Loop qui fait tant défaut de ce côté-ci de la Manche, un peu à la manière dont Pierre Schoeller a offert au cinéma français le film politique qu’on n’espérait plus.