Le thème n’est pas nouveau chez les réalisateurs américains : raconter un fait divers réel des années 1950 dans le monde cruel et noir d’Hollywood. L’équipe non plus n’est pas nouvelle : le réalisateur et une partie de l’équipe technique vient de la télévision. On n’en finit plus de creuser les rapports outre-Atlantique entre petit et grand écran. Pourtant Allen Coulter ne se contente pas de poser de multiples références au service d’une esthétique vieillotte : avec ses deux interprètes, Adrien Brody et Ben Affleck, il offre un film un peu long mais tout à fait honorable.
Ben Affleck prix d’interprétation au festival de Venise… il y avait de quoi sourire. L’acteur de Paycheck et de Daredevil attendait sans doute un rôle plus intéressant que celui des super-héros de supermarché. Et Allen Coulter a assez d’humour pour imposer un acteur, peu apprécié du cinéma indépendant, face à d’autres prétendants comme Hugh Jackman, Joaquin Phoenix ou Benicio Del Toro, pour interpréter George Reeves, authentique super-héros des années 1950 : il incarna le premier Superman, tout de rouge et bleu vêtu. Ben Aflleck dans son rôle habituel détourné… pourquoi pas ?
Le film est construit sur un long flash-back, sorte de prétexte narratif pour pouvoir s’immiscer dans le monde hollywoodien des jeunes acteurs, déjà ré-exploré il y a peu par De Palma dans Le Dahlia noir : Allen Coulter s’intéresse bien davantage à la montée progressive de George Reeves qu’à sa déchéance. Le jeune requin se fait photographier avec des stars, traîne dans des bars trop chers pour lui, et s’amourache de la femme d’un producteur, qui lui servira évidemment. Parallèlement, en 1959, un détective, merveilleusement interprété par Adrien Brody, Louis Simo, cherche à découvrir la réelle mort de Superman. Retrouvé avec une balle dans la tête, Reeves ne s’est peut-être pas suicidé mais aurait été tué par les hommes de mains de la MGM. Les deux histoires, celle de l’acteur comme celle du détective, sont filmées comme des polars : les lumières sombres, les mouvements élégants de caméra, et quelques clins d’œil comme cette apparition de Rita Hayworth en arrière-plan sonnent comme des hommages au film noir.
La réussite du film est la peinture de deux hommes, Simo et Reeves, deux natures différentes qui tendent vers le même but : la reconnaissance. L’intérêt ici n’est pas tellement le dénouement de l’intrigue mais sa formation même ; et Coulter a l’élégance ne jamais tomber dans l’évident. La fin du film, très désabusée, et parfaitement à contre-courant du polar classique et du policier contemporain, ne met pas de point final à l’histoire, et laisse l’impression si originale à l’écran, et bien plus intéressante qu’une conclusion attendue, du non-dénouement, ou du non-sensationnel final.
Cependant, le film souffre parfois d’un déséquilibre dans la forme : on aimerait un peu plus de vitalité dans la contemplation de ces acteurs, tous formidables au demeurant, plus d’implication dans la reconstitution, un peu froide et toc parfois tant la pellicule jaunie sent la volonté de redécouvrir un monde passée. Mais Allen Coulter surprend de temps à autres avec des plans fixes analytiques, avec tout ce que le hors-champ peut apporter au sens de ses images. On ne verra jamais la scène du meurtre/suicide elle-même, ni ses prémisses ; on ne voit pas non plus les manigances des grands gourous des studios. Beaucoup de choses sont suggérées, peut-être de façon à ne pas trop dénoncer, ou alors de façon à ne pas trop rendre évident l’enfer du milieu du cinéma.
Hollywood, maltraité au travers de nombreux personnages dont le très réussi Mannix, ponte de la MGM (le toujours très remarqué Bob Hoskins), reste une usine à rêve, certes égratignée par le mystère sombre et effrayant qu’elle dégage, mais tout autant sublimée par ce même mystère. Le film n’est pas la critique d’un monde, c’est avant tout sa découverte. Le titre, Hollywoodland, est d’ailleurs le mot originel dont les lettres figurent toujours sur la fameuse colline de Los Angeles. Le film d’Allen Coulter est, en cela, très américain : entre l’hommage et la peinture au vitriol, son cœur balance. De temps à autre, le nôtre aussi, mais reste charmé par ce premier essai.