Voilà quelque temps que nous étions sans nouvelles de John Milius, depuis son éviction du projet King Conan : Crown of Iron, suite tant attendue à son célèbre Conan le barbare. Le voici de retour en tant que créateur d’une nouvelle série HBO, Rome. Bonne nouvelle : l’homme est en pleine forme, plus que jamais fidèle à ses obsessions, et en s’attaquant à l’histoire de Rome (celle des derniers temps de la République et de l’ascension de Jules César) s’est attelé à une tâche audacieuse, celle de réécrire l’Histoire, ni plus, ni moins.
On ne compte plus les cinéastes qui se sont intéressés au petit écran afin d’y développer des séries télévisées. Du Twin Peaks de David Lynch au Kingdom de Lars von Trier, en passant par Michael Mann et Miami Vice, ou encore John Landis et Dream On, la liste est longue. En leur permettant de développer une histoire dans le temps, le support télévisuel a donné à ces réalisateurs un espace de choix, moins contraignant qu’une production cinématographique, bien qu’obéissant à de strictes règles de format.
L’investissement de John Milius dans une série n’a rien de surprenant, lui dont la carrière cinématographique est depuis quelques années au point mort en tant que réalisateur, son dernier film, Flight of the Intruder, remontant à 1991. Mais Milius est aussi et avant tout un scénariste. À ce titre, on lui doit par exemple pour la télé l’écriture de l’épisode Viking Bikers from Hell pour la troisième saison de Miami Vice, sous le pseudonyme de Walter Kurtz, du nom du personnage incarné par Brando dans Apocalypse Now, un scénario dont il est également à l’origine.
Vétéran de la guerre du Viêt-Nam, membre du comité de direction de la National Rifle Association, Milius a toujours montré un grand intérêt pour l’armée (et les armes). Pour se faire une idée un peu plus précise du bonhomme, surnommé « le général », il suffit de savoir que le personnage de Walter Sobchak qu’incarne John Goodman dans The Big Lebowski des frères Coen s’inspire en grande partie de lui. Également passionné par le monde païen de l’avant-ère chrétienne, c’est en toute logique que nous le retrouvons combinant les trois casquettes de producteur exécutif, scénariste, et créateur de la série Rome, diffusée en 2005 sur la chaîne américaine HBO.
Les douze épisodes de la première saison de Rome reviennent dans le détail sur la lente déchéance de la République romaine et l’accession au pouvoir de Jules César, qui au retour de sa conquête de la Gaule, briguera le pouvoir à Pompée, et se fera élire dictateur.
L’un des intérêts de cette série est de montrer la réalité de l’ancienne Rome sous son jour le plus authentique, et donc le plus cru. La ville et ses habitants sont sales, on voit des graffiti sur les murs, les esclaves meurent comme des animaux en cage, le sexe et la violence y sont omniprésents, et loin de l’image qu’on pouvait se faire de la vie à Rome à l’époque, tout ça finit par ressembler à Calcutta au bout du compte.
On suit les parcours croisés entre les hommes (et femmes) de pouvoir, et les soldats ou plébéiens, dont font partie les deux véritables héros de la série, les légionnaires Lucius Vorenus et Titus Pullo. Ce dernier, personnage miliusien par définition, dans la lignée des Conan ou Leroy dans Big Wednesday, est une sorte de brute épaisse et malgré tout profondément attachante, aux choix instinctifs et lourds de conséquences. Milius s’est amusé à mêler la vie de ce personnage à tous points de vue fictif à l’histoire connue, le faisant participer malgré lui à l’évolution de la situation politique, qui aboutira au triomphe de César. Ce procédé scénaristique, sans jamais dénaturer la vérité des faits telle que nous la connaissons, permet aux créateurs de la série d’imaginer une petite histoire dans la grande, rendant ainsi cette dernière beaucoup plus tangible.
On ne cherchera pas à la fin du dernier épisode un quelconque cliffhanger poussif, censé nous tenir en haleine jusqu’à la reprise de la série l’année suivante. L’histoire développée tout au long des douze épisodes trouve donc un terme logique dans l’ultime épisode, tout en laissant les portes ouvertes pour une seconde saison, dont HBO a d’ores et déjà annoncé la mise en chantier, pour une diffusion prévue début 2007 aux États-Unis.
Une petite précision s’impose quant à la version fournie ici. La série, coproduite par la BBC, a été amputée lors de sa diffusion au Royaume Uni : sous prétexte que le public anglais était plus au fait de l’histoire de la Rome antique, les trois premiers épisodes ont été remontés en deux épisodes, un moyen pour la BBC de montrer une version plus soft (tant au niveau du sexe et de la violence) et de ne pas choquer le téléspectateur. La démarche n’a aucun sens, tant l’originalité de la série réside justement dans cette reconstitution fidèle et authentique des mœurs et coutumes de l’époque. La version contenue dans le coffret est donc légitimement celle diffusée par HBO, la même que celle diffusée par Canal Plus l’été dernier, soit la version non censurée, et il convient en conséquence de la montrer à un public averti.
Qu’apporte donc de plus cette édition DVD par rapport aux épisodes diffusés sur Canal Plus il y a quelques mois ?
Pas moins de huit commentaires audio, pour commencer. Enregistrés par le consultant historique Jonathan Stamp, le producteur exécutif et scénariste Bruno Heller, les acteurs Ray Stevenson et Kevin McKidd (qui incarnent Titus Pullo et Lucius Vorenus), et les réalisateurs Steve Shill et Jeremy Podeswa, et malheureusement non sous-titrés en français, ils ont le mérite d’être très instructifs et témoignent du long travail de recherche opéré pour recréer l’ancienne Rome le plus fidèlement possible.
On trouve également les making-of de deux scènes marquantes et emblématiques de la série (tous deux d’une durée de 23 minutes) : le triomphe de César, dont le tournage dura deux jours et pour laquelle, chose exceptionnelle pour une série télévisée, 600 figurants furent embauchés (rappelons que le budget de Rome, avec ses 100 millions de dollars, fait de cette série la plus coûteuse jamais produite), et le combat de gladiateurs, d’une barbarie inouïe, bien loin des reconstitutions traditionnelles, beaucoup plus proche de Conan le barbare que de Gladiator.
Un guide interactif intitulé Tous les chemins mènent à Rome, disponible sur la totalité des épisodes, consiste, un peu à la manière de notes en bas de pages dans un livre, en de courtes indications (en anglais) incrustées sobrement sur les images lors de la lecture, qui apportent un éclairage historique précieux, tant sur le contexte politique que sur les situations et les lieux rencontrés.
En 11 minutes, Amis, Romains, Paysans, dresse les portraits des (nombreux) personnages rencontrés au cours de la série.
Enfin, on trouve sur un ultime disque, consacré uniquement aux bonus, deux documentaires de 24 minutes. Le premier, L’ascension de Rome, revient plus particulièrement sur le tournage dans la capitale italienne, dans les studios de Cinecittà, qui, loin d’être moribonds, ont accueilli récemment Scorsese et son Gangs of New York, ainsi que Mel Gibson et sa Passion du Christ, et où ont été recréés sur plusieurs hectares les décors du forum et du quartier pauvre de la Subura. Le second, À l’époque de Rome, revient sur le mode de vie des Romains, qui, comme le fait très justement remarquer Jonathan Stamp, le consultant historique, crée un sentiment paradoxal chez nous, en ce que nous les trouvons à la fois très proches et très différents de nous.
Outre cette profusion de suppléments aussi instructifs que passionnants, c’est véritablement dans son packaging que se trouve la vraie valeur ajoutée de cette édition : les six disques sont en effet disséminés sur un long digipack dépliant, le tout contenu dans une boîte en bois. En revanche, le superbe mix Dolby Digital 5.1 n’est disponible que pour la version originale en anglais, la version française se limitant à un simple mix Dolby Surround 2.0.