Croisade pour une terre saine
En costume, un Américain anime en anglais et Powerpoint à l’appui une réunion d’information sur les forages entrepris à la recherche de gaz de schiste par l’entreprise américaine Chevron dont il est le représentant pour la Pologne. Son subordonné, polonais, lui, assure la traduction pour le public composé de paysans du coin, inquiets des dommages créés à leurs habitations et exploitations. Le discours lénifiant et généraliste de la firme internationale s’oppose aux contre-arguments précis et circonstanciés des riverains. C’est cette séquence édifiante, proprement hallucinante, filmée et montée sur une durée qui en accroît la force, que l’on a envie de retenir de Holy Field, Holy War, dont le titre traduit bien l’esprit de croisade qui est celle du réalisateur. La sauvegarde de nos ressources terriennes est sacrée, et la menace qui pèse sur elle oblige à partir au combat. Pas de doute, c’est bien à un film militant qu’on a à faire, où l’opposition entre les camps est nette et tranchée, irréconciliable.
Élégie, militantisme et cinéma direct
Pourtant, hormis cette séquence, le sujet de Lech Kowalski n’est pas le gaz de schiste, mais, comme il le précise lui-même à un fermier qui lui demande ce qu’il filme, « les changements de l’agriculture en Pologne ». Les motifs récurrents du panoramique et du zoom/ dézoom qui balaient l’étendue des champs montrent bien sa volonté d’embrasser l’espace agraire, tout en dénonçant mais semblent dénoncer leur propre limite. Voulant filmer à ras de terre dans les champs, les exploitations ou sur les marchés, insistant pour donner la parole avant tout aux paysans, Kowalski se prive d’un éclairage par le recours au passé que représenterait l’usage d’archives ou de témoignages d’experts. La faiblesse du film tient dans ce que le dispositif de mise en scène n’est pas à même de circonscrire le sujet défini. Comment, en effet, filmer ici et maintenant le processus du changement ? Le temps long du sujet, c’est à dire l’évolution sur plusieurs générations des pratiques de l’agriculture, ne parvient pas à se manifester à travers les interviews d’exploitants agricoles, d’autant plus qu’elles se voient sont saucissonnées par le montage, ni par la contemplation des champs. On sent la contradiction du projet qui s’efforce tantôt de livrer une photographie du métier de paysan, tantôt d’investiguer sur les bouleversements que l’industrialisation fait subir à la terre.
La dimension sacrée du travail de la terre évoquée par le titre se retrouve dans des séquences élégiaques concentrées sur l’observation des gestes du travail de la terre. Empruntant différents chemins de traverse, le film ne parvient pas à réellement trouver sa voie.
Hésitant entre pamphlet dénonciateur, élégie à l’auguste geste du paysan, et photographie instantanée de l’humeur maussade des fermiers à un endroit précis, le montage en ressort très chaotique, peinant à construire un discours dont la cohérence interne serait autre que « c’était mieux avant ». Sentiment renforcé par le fait que si la pertinence des questions n’est pas à remettre en cause, le bien-fondé des personnes auxquelles il les adresse est en revanche souvent source de problème. « Je n’en sais pas plus », confie un homme qu’il a questionné sur le travail de l’entreprise Chevron, révélant son impuissance à fournir les connaissances qu’on lui demande. « Comment ressentez-vous le fait de tout polluer ? » demande-t-il au conducteur du tracteur qui épand le lisier. Son absence de réponse ne peut que susciter l’idée que la même interrogation aurait bien plus de force posée à d’autres protagonistes.
Pas d’humanité pour les salauds
Dans son contenu, la scène de réunion d’information sur les méthodes de forage du gaz de schiste rappelle précisément celle de Promised Land (Gus Van Sant) qui traitait du même sujet en Pennsylvanie. Frances McDormand et Matt Damon parcourent des bourgades pour faire signer à des fermiers ayant perdu tout espoir l’autorisation de sonder leur terre.
Dans un gymnase rempli d’opposants à son projet de forage de la région, Matt Damon, cadre en pleine ascension pas si éloigné du représentant de la société Chevron chez Kowalski, venait offrir un discours prosélyte. Dans un récit tout hollywoodien, le suspense résidait dans le fait de savoir si l’art du verbe parviendrait à retourner le rapport de force entre les deux camps. La figure de la petite fille qui vend la meilleure limonade juste au bon endroit (lieu de rassemblement) et au bon moment (un jour de grande chaleur) y incarne l’essence d’un bon capitalisme dont le personnage joué par Matt Damon serait, lui, le versant négatif. Le film de Gus Van Sant se concentrait sur l’observation de la figure du mal : que penser de ce jeune homme sympathique qui fait un boulot dégueulasse ?
La part d’humanité du salaud, qui travaillait le scénario des deux acteurs Matt Damon et John Krasinski, donnait une épaisseur à la réflexion menée par Van Sant, qui manque cruellement à la réflexion de Lech Kowalski.