Révélé au dernier festival de Berlin pour sa collaboration avec James Franco sur Interior. Leather Bar (inspiré des quarante minutes coupées du film Cruising de William Friedkin), Travis Mathews s’était auparavant lancé dans une autre expérimentation : celle de mettre en scène de manière explicite la sexualité d’un groupe de jeunes gays tout en préservant son film de l’étiquette encore peu valorisante de « pornographique ». Si le résultat se révèle parfois inégal dans la typologie des personnages, I Want Your Love réussit le pari de s’incarner pleinement lors des scènes de rapports. Mieux, le film succombe même à la rafraichissante spontanéité de ses acteurs en herbe.
Au commencement, il y a Jesse, jeune artiste gay contraint pour des raisons professionnelles de quitter San Francisco, ville où il est installé depuis plusieurs années, pour rejoindre son Midwest natal. Le plan-séquence d’ouverture, s’il est entièrement dévolu au jeune homme échangeant avec un groupe d’amis rivé au hors-champ, met pourtant sur une mauvaise piste : si la dimension intimiste est bien l’une des composantes essentielles d’I Want Your Love, Travis Mathews ne fera pas de Jesse le nerf central de sa trame scénaristique. Tout au plus en sera-t-il le fil conducteur, celui grâce à qui d’autres personnages se rencontrent, s’approchent, se séduisent et font l’amour. D’une certaine manière, c’est tant mieux car les questionnements existentiels du jeune homme sont souvent trop limités à ceux d’un artiste contraint au compromis. Certes, cette bifurcation scénaristique donne parfois le sentiment que le réalisateur (également scénariste) n’a pas réussi à pleinement dépasser la représentation archétypale car il lui est difficile de faire exister ce personnage au-delà des scènes de sexe dans lesquelles se dessine de manière autrement plus convaincante cette dualité qui l’anime. À croire qu’en dépit de ses indéniables qualités, I Want Your Love ne semble pas avoir résolu le complexe du cinéma pornographique (fonctionnant sur des stéréotypes) vis-à-vis d’un certain cinéma d’auteur toujours en quête d’une incarnation crédible.
Il ne faudrait pourtant pas réduire la proposition de Travis Mathews à cette réserve. Le passage au format long de ce qui ne devait être à l’origine qu’un court-métrage a sûrement contribué au gonflement artificiel de ses enjeux dramatiques. L’indéniable intérêt d’I Want Your Love est donc à chercher ailleurs, notamment dans sa manière de renverser à son avantage ce fameux complexe du cinéma pornographique. Le film renvoie du coup les productions traditionnelles à leur incapacité quasi généralisée à faire exister la chair et le sexe autrement que sous la forme d’une représentation déplacée car trop souvent cantonnée à une imitation honteuse du réel et de l’intime. Même lorsque certains cinéastes ont pris le risque de dépasser la singerie (Patrice Chéreau dans Intimité, par exemple), persistait toujours une sorte de trivialité poseuse incapable de produire autre chose qu’une certaine laideur, se limitant trop souvent à une transgression trop intentionnelle pour réellement convaincre (Ken Park de Larry Clark). Figure d’exception, Il n’y a pas de rapport sexuel, le documentaire qu’a réalisé Raphaël Siboni à partir des rushs tournés par HPG sur ses propres productions pornographiques, acceptait de porter – jusque dans son titre – ce questionnement autour de cet échec pressenti de la représentation de l’acte, ce contre quoi certains metteurs en scène se battent parfois en vain.
À ce niveau-là, I Want Your Love n’a pas à rougir de sa performance puisqu’il s’agit avant tout de cela. Fort de son expérience de documentariste et d’un travail de préparation particulièrement minutieux, Travis Mathews parvient à efficacement délimiter un espace de jeu pour des acteurs dont le naturel et la spontanéité font oublier qu’il s’agit ici de personnages fictionnels et de lignes de dialogues écrites sur le papier. Si les plans ne sont jamais avares d’explicite, l’obscène est pourtant systématiquement écarté car la démarche du réalisateur n’est jamais de produire à tout prix une image qui fait sens mais de capter (notamment au travers du montage) quelque chose – un geste, un regard, un placement du corps – qui dépasse le factice. À ce titre, la plus belle scène d’I Want Your Love est probablement celle qui réunit l’ex-petit ami de Jesse et son nouvel amant : déjouant la question de la transgression, elle est la juste représentation d’un ébat joyeux et complice où les corps se meuvent en quête d’un plaisir partagé. Comme son titre aux accents de chanson pop l’indique, le film de Travis Mathews ne fait donc pas du sexe un exutoire à névroses mais un pont sensible vers l’autre. Il en ressort finalement une euphorie communicative suffisamment rare pour être soulignée.