En premier lieu, brisons la glace : c’est un échec. Le projet, trop ambitieux, d’imaginer les quarante minutes coupées par la MPAA du controversé Cruising de William Friedkin mettant en scène Al Pacino en flic infiltré dans le milieu gay, ne pouvait se solder autrement. Il y aurait d’ailleurs lieu de le questionner plus avant, est-ce que Cruising ne tire pas sa beauté de sa dimension inachevée, de tout ce qui s’y trouve fortuitement invisible ? Est-ce que le film de William Friedkin n’est-il pas, de façon voulue ou non, un film de l’absence, du secret, du non-dit ? Certainement, et pour cela, avant d’échouer, le projet de James Franco et Travis Mathews apparaît surtout comme inutile. Comme on pourrait s’en douter, ce sera surtout un film sur le film, un behind the scenes par défaut, puisque pour le reste, même en omettant le fait que ce ne soit pas une très bonne idée, il n’y a ni projet construit, ni grand talent : on oscille, dans ces scènes finalement minoritaires du film lui-même, entre le strict porno et la pâle caricature de l’original.
Et pourtant… alors que même le recours obligé d’Interior. Leather Bar à la captation de son propre tournage ouvrait la porte à toutes les prétentions, en droite lignée du Wilde Salome de, tiens, justement, Al Pacino ; alors aussi que tout l’espoir jamesdeanien encore inabouti qu’on place en James Franco l’acteur ne pouvait évidemment pas se transposer par l’opération du Saint-Esprit sur des espoirs de cinéaste ; bref, face au véritable nid de guêpes qu’est cet affreux projet, voilà que le film se met en question, se fragilise, sème le doute, brouille les pistes, et quand bien même il n’y a pas de quoi fêter l’arrivée du divin enfant, nous nous prenons d’affection. Le tournage, assez bringuebalant, dans une pièce sans décors, prend une allure abstraite et platonicienne quand il s’agit d’imaginer qu’on se trouve dans un bar souterrain. Surtout, s’y croisent homosexuels et hétérosexuels, plaçant les acteurs sur leur propre ligne d’acceptation. Le petit Al Pacino de seconde main, au mieux inexistant, souvent pathétique dans ses imitations ridicules du jeu de Cruising, remet franchement en doute la valeur artistique du projet entre les prises, donnant lieu à des discussions toniques avec un James Franco qui cache mal (derrière, on s’en doute, son sourire séducteur) son décontenancement. Entre eux, les comédiens jouent à se tester, jusqu’où sont-ils prêts à aller, etc.
Peu à peu, on comprend le truc : tout ça est monté de toutes pièces, et non sans un certain humour – il faut bien ça pour glisser Andrew Rannells (acteur ouvertement gay et connu pour des rôles d’homosexuel, notamment dans la série Girls) dans le rôle d’un hétéro un peu craintif. James Franco est finalement plutôt en retrait de ce projet clairement dirigé par Travis Mathews, qui s’amuse à mettre en scène toute la fragilité de l’entreprise, à filmer des conversations téléphoniques de l’acteur principal avec un ami l’enjoignant à rendre son tablier. Film dans le film dans le film, Interior. Leather Bar se dérobe à volonté, devient une œuvre à tiroirs. Le long d’une courte heure, il parvient ainsi à s’avérer ludique, plutôt digne d’intérêt, même s’il reste plutôt vain et quelque peu inabouti : pourquoi pas, après tout, quand on pense aux chances qu’a un film d’une heure avec sexe explicite de connaître la moindre diffusion ? Comme le dit James Franco : « aux bénéfices de l’expérience ».