Fort d’un honorable succès en festivals, le premier film d’Antonio Méndez Esparza arrive sur nos écrans et fait montre d’une belle intelligence. Le sujet de l’immigration latino-américaine y dépasse ses tics de forme : avec une douce distance, sans violence, Ici et là-bas livre une vision réfléchie et humaine de ces flux migratoires, puissamment habitée par son talentueux casting.
Montagnes de la Sierra Madre del Sur, au Mexique. Une petite ville, loin des cicatrices douloureuses de la frontière américaine. Pedro rentre des États-Unis où il a travaillé quelque temps pour économiser, et aspire à couler désormais des jours paisibles, en compagnie de son épouse Teresa et de ses filles, Lorena et Heidi, qui sont toutes trois restées « ici » pendant que lui était « là-bas ». Il reforme son groupe, les Copa Kings. Teresa est enceinte. Malgré les relatives difficultés financières, les perspectives semblent bonnes, et la vie passe sous un soleil lourd, comme un long après-midi. Ici et là-bas est un peu alangui, endormi dans la fatigue estivale. Il nous rappelle presque Ce cher mois d’août avec cette terre qui semble loin de tout, une retraite aride mais doucereuse où la vie a tout d’un bal provincial. Comme dans le film de Miguel Gomes, le rythme est un enchaînement de séquences-tableaux, au montage minimal, peu préoccupées du hors-champ. Cela pourrait durer toujours – néanmoins il s’agira bien là de désenchanter cette illusion.
Estampillé de ce curieux label qu’est l’approche « presque » documentaire, Antonio Méndez Esparza est effectivement un fanatique du naturalisme. Ici et là-bas brille par-dessus tout par la justesse de son jeu et de son écriture. L’extrême sensibilité des acteurs, et notamment des deux jeunes filles, compose des personnages saisissants de vraisemblance, touchants dans le moindre de leurs gestes. La patience du montage nous invite souvent à les observer longuement, écoutant leur père jouer de la guitare, se disputant dans leur chambre. Lorena Guadalupe Pantaleón Vázquez et Heidi Laura Solano Espinoza (rien que ça) livrent certainement à elles deux la plus délicate performance de jeunes acteurs de cette année, pleine d’une liberté très pudique, loin de l’agitation généreuse mais fébrile d’une Quvenzhané Wallis qui semble pourtant avoir déjà Hollywood à ses pieds.
Sur la durée, cependant, Ici et là-bas peut insinuer un sentiment d’immobilisme, à force de se placer dans les à‑côtés, les petits riens, et surtout de ne jamais vraiment s’appesantir : les aléas financiers de la famille de Pedro passent et ne flétrissent jamais réellement la douce mélancolie du quotidien. Insidieusement, ces accrocs laissent peu à peu apparaître la fragilité de son équilibre. Surtout, cette nonchalance est le prix, certes apathique, du plus beau parti pris du film d’Antonio Méndez Esparza, qui est de se mettre à distance de la frontière qui sépare l’« ici » du « là-bas » : distance physique de l’État du Guerrero, une des provinces les plus méridionales du Mexique, loin des échanges électriques de la frontera ; distance mentale de cette existence que rien ne peut assiéger, à l’image de ce premier plan où Pedro grimpe les routes escarpées qui mènent à son village comme à une citadelle imprenable. Loin des plaies à vif, des bouleversements sociaux, Ici et là-bas fait un pas de côté et livre un discours bien plus humain que politique : c’est sa grande force.