On s’étonne parfois de la sortie en salles de certains films à l’ambition cinématographique limitée voire absente. Pour ce qui est de Cinema Komunisto, la surprise dépasse le simple constat de l’échec visuel : film à la gloire des années titistes, ce documentaire de montage fait sans cesse s’entrechoquer le rire à gorge déployée et l’affliction la plus totale.
Il faut, certes, comprendre que le critique français est paré de son affreuse culture démocratisante, européano-centrée et peine nécessairement à ressentir la nostalgie d’une Yougoslavie unie et forte détruite après la mort du grand Tito. Mais justement, le cinéma n’est-il pas là pour contrecarrer les effets de contexte et permettre à l’image de dépasser sa simple réception nationale, son ressenti le plus étroit ? Il est peu de dire que Cinema Komunisto ne cherche à aucun moment la remise en question de l’image : film de montage foutraque qui mélange ses sources sans les questionner ‑images d’actualités, extraits de films tournés en Yougoslavie après la victoire des Partisans, entretiens bien cadrés et bien plats dans le style d’un Hollywood Stories du pauvre, Cinema Komunisto semble ne s’adresser qu’aux nostalgiques de l’unité sans prendre en compte sa fonction de film, donc de dépassement de la simple source, de l’objet d’étude. Évidemment, il tente parfois de rendre compte d’une illusion de la Fédération, d’une écriture de l’histoire par l’image, mais ne paraît pas à même de sortir de cette recomposition factice.
Comme souvent quand il y a un peu de talent, on remarque un sens certain du timing comique : les extraits de fictions sont si bien choisies et s’enchaînent si fluidement que l’on croit, au départ, à un pastiche de film de propagande ou à un documentaire falsifié dans le registre d’Opération Lune de William Karel. Le naïf peut se laisser prendre un instant au jeu : l’insistance à mettre en parallèle la joie des jeunes partisans construisant une autoroute et les grandes parades glorifiant la victoire du leader Tito ne pouvaient être que burlesque et grotesque. Là où L’Autobiographie de Nicolae Ceauşescu pensait le temps long de l’archive, Cinema Komunisto reste dans l’instantané, dans la pure illustration, aussi construite soit-elle. Et l’on comprend, au travers des entretiens (notamment celui du projectionniste de Tito) que l’objet du film n’est ni la remise en question, ni même la monstration simple de l’établissement d’un médium de masse en Yougoslavie. De la construction des grands studios, on nous montre les plans immobiliers. De l’ouverture du pays au monde, on nous montre la visite du couple Taylor/Burton et d’Orson Welles. L’intérêt informatif reste lui-même fort limité.
Le film semble n’être fait, en somme, que pour mener aux constatations les plus sommaires et éviter absolument toute réflexion précise : on comprend rapidement que l’écrasante majorité des productions des studios yougoslaves mettent en scène la guerre de Tito contre l’ennemi nazi, mais, de la censure, on n’entendra que quelques mots, une petite minute où l’un des réalisateurs explique son limogeage sans d’ailleurs le remettre en cause. Dans le même registre, les frontières thématiques restent très poreuses : l’objet premier, le cinéma yougoslave, est très rapidement concurrencé et dépassé par le portrait d’un chef qui, nous dit-on, possédait une mémoire surhumaine et une capacité de résistance à la souffrance hors du commun. Cinema Komunisto reprend en fait le principe de base des régimes à caractère personnel : toute image, toute idée se fond dans la représentation de Tito, évitant les récits personnels pour en faire des symboles du paradis perdu et précipitant la conclusion (l’explosion de ce même paradis) pour éviter absolument toute confrontation du passé au présent. Finalement, Cinema Komunisto est construit, développé comme un film de propagande, et ne semble jamais s’en rendre compte, encore moins s’en émouvoir.