Cinq ans après The Myth of American Sleepover, très beau teen-movie placide et cotonneux, inexplicablement ignoré par les distributeurs français, on est heureux de voir les salles françaises enfin ouvrir leurs portes à David Robert Mitchell. Il faut dire que, sur le papier, It Follows semble moins encombrant à importer que son prédécesseur, qui colportait une foule de personnages déambulant sous un titre (faussement) pompeux et une intrigue vagabonde. Avec son scénario recroquevillé sur une poignée d’adolescents désœuvrés, son arrimage dans un genre plus circonscris (le film d’horreur) et son pitch carrément minimaliste (une curieuse MST provoquant des visions cauchemardesques), le deuxième film du jeune cinéaste américain se laisse plus facilement empaqueter mais n’a, malgré tout, rien d’une version lyophilisée du premier. C’est même peut-être tout le contraire : dans cet espace plus engoncé, la mélancolie qui irriguait déjà discrètement The Myth submerge tout dans It Follows.
Le virus du spleen
C’est que, pour commencer, David Robert Mitchell a choisi de matérialiser l’inquiétude gazeuse de The Myth : après avoir couché pour la première fois avec son boyfriend, Jay, post-adolescente ordinaire vivant dans les suburbs de Detroit, se retrouve projetée dans un Horla à la sauce Romero alors que des goules flegmatiques mais opiniâtres se mettent à la traquer. Tournant le dos à la tradition sérielle des slashers, celle de l’horreur récitée comme un chapelet de massacres, It Follows ne s’intéresse vraiment qu’à une seule personne – ou un seul cas serait-on même tenté de dire puisqu’il est question de maladie. Ainsi cantonné, le film dilue son angoisse le long d’une trajectoire möbienne où la menace ne cesse de revenir comme un boomerang : alternant entre l’attente barricadée et la fuite sans destination, Jay ne peut échapper à l’horreur pour la simple bonne raison qu’elle la porte en elle.
Le ver est dans le fruit – et le film tient dans cette image : lisse en surface, ondulant coquettement sur un terrain sans aspérités (l’oisiveté initiale des teens dans un monde sans parent) où s’étalent sans surprise les citations des grands maîtres (Carpenter, Romero, Tourneur) ; mais tout de même infecté par un virus spleenétique. La sérénité apparente de la mise-en-scène, sûre de ses effets impeccablement calculés, devient ainsi le ton idéal pour déballer un récit bileux : aucune digue ne pourra empêcher l’horreur de se déverser dans les pavillons middle-class calfeutrés dans leur normalité tranquille. Exploitant à fond cette idée, David Robert Mitchell filme les fenêtres comme des vitrines de terreurs, postant Jay contre un carreau pour observer la lente progression des lémures, ou comme des barrières inefficaces (les vitres cassées par les assaillants, l’obligation d’installer des cannettes sur des fils en guise d’alarme artisanale). Structuré par cette porosité entre l’intérieur et l’extérieur (le virus dans les veines, les zombies dans la maison), It Follows n’accorde que des refuges éphémères à ses personnages – allant jusqu’à offrir un rôle de vigie à la caméra, pivotant sur elle-même comme un mirador dans une scène, avant qu’une des créatures n’apparaissent dans son radar, nous indiquant qu’il est temps pour Jay et son ami de décamper.
Grandir à côté des ruines
Il se peut que ce pessimisme gluant du film le discrédite aux yeux de certains. De la même manière que la disproportion entre l’horreur métaphorique et l’horreur réelle le voue, partiellement, à une certaine inconséquence qui fera ricaner ceux qui voudront n’y voir qu’un long spot de prévention contre les MST. Il n’en demeure pas moins que It Follows s’avère être un très beau film dans la mesure où il se laisse lui-même contaminer par notre époque. Si, à l’instar de The Myth of American Sleepover, il s’agit de filmer les adolescents comme des maraudeurs, déambulant dans un monde dont on peine à savoir s’il est douillet ou terrifiant, dans It Follows la menace a toutefois son propre écosystème : les ruines de Detroit, ville natale du cinéaste. Contemplant ces paysages désertés – et non simplement déserts –, les jeunes protagonistes se remémorent les mises en garde de leurs parents contre ces quartiers. Cette découverte du monde au-delà de la frontière des suburbs, le film la leste d’une inquiétante idée – dans une de ses plus belles séquences : le risque d’y laisser sa peau. Car, afin de coincer une fois pour toutes les fantômes qui tourmentent Jay, les adolescents s’isolent dans la piscine de Detroit – immense monument filmé comme un manoir hanté sous un orage – où la jeune femme servira d’appât au milieu du grand bassin. « Ne chassez pas l’homme trop tôt de la cabane où s’est écoulée son enfance », écrivait Hölderlin. David Robert Mitchell, lui, ne se positionne pas sur ce débat concernant la perte de l’innocence (ce à quoi on pourrait être tenté de réduire It Follows), mais enregistre un simple fait avec les déambulations des ados au milieu des rues fantômes de « Motor City » et de sa banlieue : il est effrayant de grandir dans un monde qui est lui-même en train de disparaître.