Adapté de l’ouvrage d’Anne Wiazemsky, Je m’appelle Élisabeth arrive sur les écrans, précédé d’une bande-annonce des plus calamiteuses. Aurait-on droit, ainsi que cette dernière le laisse croire, à l’histoire cent fois racontée de la petite fille obligée d’être adulte qui prend sous son aile un homme mûr encore enfant ? Loin de là. Fantasmagorique et subtil, le film raconte l’enfance avec un mélange de poésie et d’emphase qui tire Je m’appelle Élisabeth vers le haut.
Betty est très attachée à sa sœur Agnès. Lorsque celle-ci la quitte pour partir en pension, la petite fille ressent comme un abandon le fait d’être laissée seule dans la grande maison qu’elle partage avec ses parents et leur bonne. Alors que le couple se déchire, Betty s’évade dans son monde imaginaire solitaire. Lorsqu’un jeune homme s’évade de l’asile mitoyen que dirige son père, elle décide de le soustraire aux recherches de la police, et s’en fait un compagnon de jeu.
Je m’appelle Élisabeth ressemble, à première vue, à tout ce qui se fait de plus benêt dans un certain cinéma français populaire – pour ne pas dire populiste. L’action est située dans de dorées années 1960, au couple parental s’oppose la bonne et le jeune interné, porteurs des « sentiments vrais », Betty est la parfaite petite fille rêveuse des contes de Martine.
C’est avant tout le monde de Betty qui est dépeint par le film, et l’astuce du scénario est de ne pas axer l’intrigue uniquement autour de la relation forcément ambiguë entre Yvon, le jeune schizophrène, et la petite fille. Certes la relation existe, mais Yvon n’est jamais que l’un des nombreux ressorts dramatiques de l’univers de la petite fille. Elle le domine totalement, fait du jeune homme sa poupée, le plie à ses désirs comme tout ce qui l’entoure. Betty aime le mystère. Et comme tout enfant, elle est attirée par ce qui lui fait peur parce que cela la terrifie. Le vent, les portes grinçantes, les formes projetées par la lune sur ses murs… Ces terreurs enfantines, le réalisateur choisit de les mettre en scène de façon brute, plutôt que d’adopter le point de vue subjectif de la petite fille. De là, le recours à une mise en scène étrange, incongrue dans un film tel que pourrait être Je m’appelle Élisabeth, à l’imagerie fantasmagorique très travaillée. Courses le long de murs sombres, présence des parents en ombres chinoises, douce lumière bleutée pour figurer la nuit noire, branches biscornues d’arbres oppressants : tous ces éléments envahissent l’écran d’une façon très picturale, évoquant des illustrations d’un livre de conte. La petite fille est le plus souvent exclue du champ dans ces séquences, ce qui permet d’adresser l’image directement à l’assistance. On pense notamment à l’univers de Tim Burton, surtout au château d’Edward aux mains d’argent, à ses ombres envahissantes héritées de l’expressionnisme allemand. En évoquant ainsi les terreurs enfouies de l’enfance, Jean-Pierre Améris donne à son film avec une étonnante intensité, une forme poétique qui renforce son discours.
Stéphane Freiss et Maria de Medeiros jouent leurs rôles de parents avec un talent consommé, et Benjamin Ramon se sort plutôt bien d’un premier rôle pourtant potentiellement risqué. Yolande Moreau, dans un rôle de femme mi-monstre (elle est muette et pratiquement autiste) mi-mère, assume son personnage avec une sobriété fissurée. Mais c’est Alba-Gaïa Kraghede Bellugi qui est la véritable révélation du film. Dans le rôle de Betty, elle est suffisamment crédible et sobre, la justesse de son rôle venant autant de la façon dont il a été écrit, que de la façon dont elle interprète l’ironie sérieuse propre à l’enfance plongée dans l’imaginaire, pour des adultes qui y sont devenus étrangers.
En choisissant de dépeindre le potentiel fantasmagorique de l’environnement et du scénario, Jean-Pierre Améris parvient à renouveler le regard sur l’enfance au cinéma. Un renouvellement modeste, mais dont le film tire tout son intérêt. Passer au-delà des poncifs inspirés par la façon dont le sujet du film est présenté, permettra aux spectateurs curieux de découvrir un film français familial où, pour une fois, se dessine une véritable ambition artistique.