Mâtiné d’une sous-esthétique vaguement inspirée du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, Les Émotifs anonymes se complaît dans un scénario très attendu et dans un humour qui fait flop. Carré et Poelvoorde font ce qu’ils peuvent, mais ne parviennent pas à sauver cette non-comédie où tout est téléphoné.
L’idée était plutôt bonne : mettre en scène, à la manière des Alcooliques anonymes, des « Émotifs anonymes » et construire un récit qui se serait gentiment moqué de leur handicap et aurait regorgé de situations absurdes et clownesques. L’idée était bonne… mais le résultat est loin de l’être ! Les réunions des émotifs en question n’ont pas d’intérêt en tant que tel, ni dans la mise en scène, ni dans l’avancement du récit. Elles ne servent qu’à commenter, avec une lourde redondance, l’histoire des deux héros, eux aussi timides maladifs.
Jean-René (Benoit Poelvoorde) dirige une fabrique de chocolats en quasi-faillite. Sur un malentendu – et parce qu’elle a fait mouche en lui parlant de l’amertume du chocolat – Jean-René embauche sur le champ Angélique (Isabelle Carré) comme commerciale, alors que la demoiselle est une chocolatière hors pair. Deux âmes esseulées, deux handicapés des sentiments, une passion chocolatée commune et une magicienne de la friandise susdite, voilà les ingrédients d’une comédie qui peine à surprendre. On a compris la fin avant même que le cinéaste ait déployé le commencement du début de leur histoire. Dommage, car le dernier film de Jean-Pierre Améris, Je m’appelle Élisabeth (2006), était une subtile et poétique variation sur le monde de l’enfance. Cinq ans après le très beau Entre ses mains d’Anne Fontaine, on avait aussi plaisir à retrouver le couple Poelvoorde-Carré. Dans un tout autre registre cette fois-ci, et malheureusement dans une « comédie » dont la recette vire à la soupe à la grimace, tant le scénario est poussif et les situations téléphonées.
Une « comédie » pas drôle du tout, à une exception près, la scène du restaurant, premier rendez-vous d’Angélique et de Jean-René, très bien écrite, mêlant comique de parole et de geste sur un rythme maîtrisé. On aurait aimé que tout le film soit à l’aune de cette scène de bravoure… il n’en est rien. Au lieu de cela, le film vire au ridicule, jusqu’à l’improbable et seule scène de comédie musicale (pauvre Isabelle Carré !) Une incursion dans ce genre totalement incongrue. Le réalisateur ne retrouve jamais le ressort comique du passage au restaurant et s’enfonce dans un aplat de clichés. Le personnage du psy, de vaguement ridicule, franchit le cap de l’ « über-ridicule » lorsqu’il vient s’asseoir à côté de son patient et se mue en bon pote l’enjoignant à ne pas passer à côté de sa belle.
Avec un thème pareil, l’hyperémotivité et ses conséquences dans les relations humaines, on aurait voulu que le réalisateur saupoudre son récit d’un délicieux second degré, ou, au minimum, qu’il se serve du dispositif de ces rencontres de ces « handicapés de la communication » autrement que pour vaguement ponctuer le récit. On pourra opposer qu’il s’agit d’un conte parsemé de personnages archétypaux. Cela aurait pu l’être, n’était leur inutilité, l’absence de finesse d’humour et l’esthétique désagréable de l’ensemble. Car la mise en scène se nourrit d’une ambiance somme toute assez laide. Ces Émotifs anonymes semblent trempés dans les couleurs moches d’une Amélie Poulain ratée, un verdâtre aussi passé que les décors figurant un Paris de pacotille à grands coups de confiseries à l’ancienne et de rues pavées piétonnes.