Présenté en section Forum du dernier festival de Berlin, ce second film du scénariste Mehdi ben Attia (qui a notamment œuvré pour Téchiné) présente un brassage des genres assez réjouissant. Accompagné d’un propos sur la société française qui ne se veut jamais redondant ni didactique, Je ne suis pas mort distille une atmosphère intrigante, qui cultive à la fois mystère et réalité sociale.
Dans l’univers balisé du film d’auteur parisien, voici un film qui constitue une véritable découverte, renouvelant un genre majoritairement réservé aux atermoiements bourgeois. Je ne suis pas mort se nourrit du même terreau, mais vient pousser le film d’auteur vers le fantastique et le mystère, tantôt thriller psychologique, tantôt fable sociale, tantôt comédie de la vanité humaine. Dès le générique, qui entonne un morceau aux accents hitchcockiens, le ton est donné. Yacine est un jeune homme qui étudie à l’ENA, et vit grâce à un petit boulot de coursier. Un jour, il doit livrer un paquet à Richard, son professeur de philosophie, qui se prend d’affection pour lui, et propose de l’aider à gravir les échelons en lui faisant bénéficier de ses relations.
Le lien trouble qui unit les deux hommes atteint progressivement son point limite à mesure qu’on leur découvre des points de rapprochement – notamment dans la relation compliquée qu’ils ont chacun avec leur père, ou à travers leur désir de reconnaissance. Mehdi ben Attia développe alors ce postulat au pied de la lettre : Richard meurt d’une rupture d’anévrisme, et se « réincarne » dans le corps de Yacine. Énoncé de manière aussi abrupte, ce twist pourrait paraître totalement absurde, mais il est amené avec une belle et étrange économie de moyens, qui permet alors de renverser les polarités. À la description d’une haute société faussement bienveillante se substitue son envers hypocrite, et à la petite vie faite de débrouille de Yacine, l’exemplarité d’une ascension sociale faussée. Et pourtant le récit continue à jongler entre ses possibles, et maintient une incertitude réjouissante quant aux intentions qu’il développe, évitant de souligner un propos qui se mêle aux enjeux d’un film de genre, pour lequel Mehdi ben Attia semble avoir tout autant de considération.
C’est ainsi, par exemple, que la question de l’identité se présente par le biais d’une confusion latente entre les deux personnages : on ne sait progressivement plus si c’est Yacine ou Richard qui s’exprime à travers le corps du jeune homme. Ce désordre identitaire vient se greffer à la description de la condition d’un jeune Maghrébin en France. Le film est ainsi, en filigrane, une sorte de parabole sur le racisme et les inégalités sociales, en même temps qu’il trouve un exutoire en abandonnant un combat perdu d’avance pour le personnage de Yacine/Richard : faire reconnaître aux autres sa véritable identité, chimère qui échappe tant au spectateur qu’au protagoniste lui-même. Je ne suis pas mort interroge également le « rôle social » en général, à travers la cannibalisation du corps de Yacine par Richard, qui tente de séduire à nouveau sa femme en se faisant passer pour un autre. Le film entretient une position ambivalente et reste cantonné à son idée de ne pouvoir déjouer chez ses personnages des intentions qui semblent inextricables, car toutes ouvertes à un champ de possibles. C’est ainsi que l’on se demande si cette femme d’âge mûr mais très attirante (interprétée par Maria de Medeiros) prend le risque de se laisser séduire pour la posture – celle d’être en couple avec un homme issu de l’immigration –, par crise identitaire – retrouver une seconde jeunesse auprès de Yacine – ou parce qu’elle pressent la maturité qui se cache à l’intérieur du corps de Yacine. Le film, lancé vers un horizon indécidable, laisse intelligemment avec ces questionnements, nous renvoyant une image de la société française lucide et troublante.