Téchiné avait déjà ouvert la voie en parlant d’homosexualité au Maroc avec (Loin, Les Temps qui changent). Il posait certes un regard européen sur la question, mais il avait au moins le mérite de dépasser le simple fantasme du beau Maghrébin. Avec Le Fil, Mehdi ben Attia nous emmène en Tunisie, pays où aucun droit n’est reconnu aux homosexuels. Et pour ce premier film, il ne ménage pas ces effets, un peu trop même. Couples de filles et de garçons, homoparentalité, conflits de classes sociales, deuil du père, émancipation de la femme, nouvelles aspirations de la jeunesse s’entassent dans une vision idéaliste d’une société tunisienne de luxe. Car c’est bien beau d’avoir une approche « lumineuse » de ces thèmes, encore faut-il savoir apprivoiser le cliché. Au milieu de tout ça, l’icône Cardinale (que l’on croirait dirigée par Bardot) patine et Salim Kechiouche nous exhibe sa trentaine florissante, seul atout contre l’ennui.
Sorti quelques jours avant la Journée Mondiale de lutte contre l’homophobie, Le Fil a au moins le mérite de rappeler que dans de nombreux pays l’homosexualité est encore tabou, condamnée par les mœurs si ce n’est passible d’emprisonnement ou de peine de mort. C’est le cas de la Tunisie comme dans les autres pays musulmans où l’homosexualité n’est pas permise par le Coran. Le Fil se présente ainsi comme le premier film tunisien à traiter de la question et logiquement, le montage financier (le réalisateur-scénariste n’a pas eu le droit aux aides financières) et les préparatifs ne se firent pas sans encombres. À quelques jours du premier clap, Mehdi ben Atti n’avait toujours pas les autorisations de tourner. Heureusement, Claudia Cardinale, caution commerciale du Fil, permit à la situation de se débloquer. Au bout du compte, c’est donc moins par progressisme que par respect pour une enfant du pays que les autorités ont lâché prise. Ne rêvons pas. Le réalisateur, lui, pense qu’il y a peu de chance que Le Fil sorte en Tunisie dans une version non coupée. Il faut dire qu’au-delà d’une ou deux scène de sexe entre garçons plutôt explicites et de quelques shoots au poppers, Le Fil aspire à fustiger bon nombre de préceptes de la société tunisienne. Tout y passe : du couple gay à la famille homoparentale, de la place du père à l’émancipation des femmes (la mère jouée par Claudia Cardinale faisait déjà à son époque figure d’électron libre), des Tunisiens, enfin, ceux nés en France et qui se sentent étrangers lorsqu’ils reviennent au pays. Le Fil aurait même une constat à non donner : les avancées sociales et culturelles seraient entre les mains de la nouvelle génération. Mieux, l’amour (et tant qu’à faire celui qui n’est pas conventionnel) permettrait de dépasser les histoires de caste. Mais ne poussons pas trop loin l’avant-gardisme. La nouvelle génération dont parle Le Fil, c’est une classe d’élites principalement issue du milieu francophone, une jeunesse dorée partie faire ses armes à Sciences Po ou dans les meilleures écoles d’architecte. Même si le personnage de Bilal nous ouvre à la classe sociale des asservis, Le Fil limite donc la portée de sa critique.
À trop vouloir brasser de thèmes en périphérie de la question gay, le film n’en traite vraiment aucun et donne plus l’impression d’un téléfilm carte postale qui enfile les clichés. Et encore, on a vu le service public produire des fictions sur cette thématique beaucoup plus audacieuses et esthétiquement plus poussées. Clichés donc, à commencer par le casting. Antonin Stahly est certes un nouveau venu du cinéma, mais Salim Kechiouche, lui, est plutôt abonnés aux rôles de beur gay de service, fantasme sur pattes pour de nombreux cinéastes. Son talent d’acteur n’est pas en jeu, mais avec son physique bien bâti de trentenaire florissant, il peine parfois à donner crédibilité au rôle du jardinier voulu plus jeune. Claudia Cardinale également peut réveiller la mémoire homo, fille à pédés du septième art qui fut sublimée par Visconti (dans Le Guépard évidemment, mais aussi dans une merveille méconnue du cinéaste italien, Sandra). Vraisemblablement mal dirigée, sa prestation dans Le Fil ne restera pas, elle, dans les annales.
Pour être convaincant, le film aurait dû assumer le mélodrame, un genre de premier choix qui permet de dépasser une naïveté apparente tout en donnant crédibilité et force dramatique au récit. De fait, l’histoire avait en germe les réminiscences des meilleurs Sirk ou Fassbinder. Après la mort de son père, Malik, un jeune Tunisien qui a fait carrière en France, revient au pays pour monter un cabinet d’architecte avec sa meilleure amie lesbienne avec qui il envisage d’élever un enfant. Malik vit dans la grande propriété de sa mère. Il ne lui a jamais avoué qu’il était gay mais voilà qu’il tombe amoureux de Balil, le jardinier. Malheureusement, Mehdi ben Attia flirte avec le mélo sans l’aborder frontalement. Du coup la vision idyllique qu’il donne de l’homosexualité en Tunisie sonne creux. Le cinéaste n’est pas plus à l’aise avec l’intrusion de séquences oniriques ou métaphoriques. Au titre du film, notamment, répondent de courtes scènes où Malik se voit prisonnier d’une pelote de fil imaginaire, allégorie de son attachement culturel au pays et d’un cordon qu’il n’a pas encore réussi à couper avec sa mère. Soyons franc, on serait presque plus indulgent avec un délire potache comme Beurs appart’, sorte d’Hélène et les garçons gay à la sauce rebeu, plus en phase avec la génération actuelle et finalement plus juste dans son traitement de l’homosexualité chez les musulmans.
Paradoxalement et comme pour mieux donner le bâton pour se faire battre, le réalisateur est assez conscient de ce qui peut gêner dans le film. Dans un entretien accordé au magazine Têtu (n° 155 mai 2010), Louis Maury lui demandait quelles réactions du public il n’apprécierait pas : « Que l’on dise que le film est trop idéalisé. Parce que la répression, qui est réelle en Tunisie, n’empêche pas les aspirations ni les pratiques. Il y a autant de gays à Tunis qu’ailleurs. Et ceux qui veulent, vivent leur vie. Soit on revendique la liberté et on se met dans la merde, soit on exerce sa liberté, et on voit ce qui se passe. J’ai choisi cette deuxième solution. Et, pour l’instant, tout va bien. » Dans un climat ou la production cinématographique gay peine à se sortir de ses trips dépressifs, les intentions sont certes louables. Elles ne font pas pour autant un bon film.