Le nouveau documentaire de Christian Merlhiot s’intéresse à l’idée d’héritage et de transmission, et se laisse contaminer par elle. Au sein d’une communauté inuit de l’Arctique canadien, l’intermédiaire Nasri Sayegh recueille des témoignages sur la transmission des noms d’une génération à l’autre, et ses conséquences singulières sur les relations au sein des familles. Une coutume veut que les noms des ancêtres défunts sont donnés aux descendants, ce qui aurait pour effet d’habiter ces derniers avec les âmes des premiers – ainsi, il n’est pas exclu qu’un parent donne à son fils le nom de sa propre mère, et soit ainsi amené à appeler ce fils « mère ». Ainsi, à des définitions que l’on pourrait croire acquises (liens du sang, rapport aux défunts, sexe déterminé à la naissance) se superposent d’autres définitions, plus mystiques, n’assurant pas l’hérédité mais la transmission de la tradition, notamment orale.
Un film porté par ce qu’il recueille
Sans relâche, Merlhiot et Sayegh vont à la rencontre des personnes, diverses par leurs expériences et leurs rapports à la tradition et à la modernité, les laissent confier à la caméra leurs témoignages sur cette coutume. Surtout, il fait le choix de laisser libre cours à leur parole in extenso. Dès lors, celle-ci prend le pouvoir du film : les témoignages deviennent des récits de longue haleine, que Sayegh écoute patiemment au sein du cadre, tandis que le montage relâche son rythme pour ne pas interférer avec l’attention qu’on porte à ces mots. Documentaire tournant autour de la tradition orale, le film se trouve habité par cette même tradition, s’en fait le vecteur au même titre qu’un de ses intervenants, chaque témoignage ininterrompu – ou montré ainsi – constituant un véritable chapitre.
Il y a un autre indice que Merlhiot nourrit cette ambition de transmettre ce qu’on lui transmet. En complément de programme de ce long métrage, un court, Ningiuq, est constitué d’un entretien qui n’a pas pu être intégré au long, et qui a été retravaillé en film d’animation, comme pour tâcher de tirer par l’esthétique ce témoignage isolé vers le conte.