Trois ans après Le Procès d’Oscar Wilde, Christian Merlhiot renoue avec l’exploration du Japon menée dans Chronique des love-hotels au Japon (2003) ou Silenzio (2005). Il s’intéresse cette fois à la vie paysanne et artisanale du village d’Ohara et à Kentarô, citadin qui a choisi d’expérimenter un nouveau mode de vie.
De jeunes Japonais travaillent au champ, ramassent des carottes, les lavent dans un petit canal débordant de l’eau de la montagne, les chargent dans une camionnette. De grands rameaux fleuris sont cueillis, qui, plongés dans l’eau bouillante permettent de teindre la laine. Celle-ci trempe dans de grandes marmites fumantes. On observe avec intérêt les gestes de ce Japon paysan que l’on a souvent vu au cinéma, mais plutôt comme une chose appartenant au passé, au monde féodal des shoguns et des samouraïs. Il est ici bien réel, et vaut même comme promesse de santé et d’authenticité, loin de la vie à laquelle astreignent la ville et les techniques modernes.
Slow Life n’en reste toutefois pas à la restitution du quotidien de cette vie campagnarde. Merlhiot prend soin de faire baigner son objet dans une atmosphère d’étrangeté, en ouvrant son film par une cérémonie traditionnelle sans aucune indication de contexte et par la place qu’il donne à la figure mutique d’une femme à laquelle Kentarô rend régulièrement visite et dont on ne saura rien. Le réalisateur se plaît aux objets potentiellement symboliques – danses, feu, pierres aux formes troublantes.
Le statut du film se brouille progressivement. Le « réel » documentaire se retrouve en compagnie de mystérieux objets et il faut bientôt reconnaître qu’il est traversé par la fiction, qu’il y a des personnages parmi les personnes – sans que la frontière entre les deux ne soit jamais claire. Merlhiot se révèle assez adroit, mais à quelle fin ? Le symbole sans symbolisé ne fait pas sens et il est plus fécond de se confronter à un problème précis que d’en suggérer dix. La complication narrative et les changements de registres viennent compliquer l’enjeu premier et explicite du film – Kentarô le citadin est-il capable de mener cette vie à la campagne ? quels genres de bonheur et d’inquiétude y trouvera-t-il ? – sans véritable gain esthétique ou intellectuel. La vaine séquence finale, complaisamment hermétique, fait passer du doute à l’agacement. Cette tendance à jouer sur trop de tableaux nuit aussi à la restitution des relations de Kentarô : avec la femme, avec la jeune fille, avec l’employé de la fabrique, avec son ami – trop de rapports et trop peu de densité.
On peut enfin se demander si le choix de Kentarô ne dessert pas Slow Life. Aussi pertinents soient les problèmes qui se posent à lui, il irrite et « sonne » faux. Il est intriguant de voir évoluer en ces lieux cet histrion, cette caricature du jeune urbain. On pourrait l’admirer d’oser s’y confronter, mais il est difficile de prendre son engagement au sérieux et de faire abstraction des poses qu’il ne cesse de prendre – la caméra n’est pas parvenue à se faire oublier. Ainsi, dès les premiers plans, consacrés à une antique célébration du feu, son irruption dans le champ neutralise la force et la gravité de ce qui est montré. Reste l’intérêt du décalage entre les formes de vie qu’il évoque et cet ancien monde qui subsiste.