Solitude contemporaine
Il y a dans ce premier film, lauréat de la Caméra d’Or au dernier Festival de Cannes, une énergie et une fougue qui ne devraient pas laisser indifférent. Paula, jeune trentenaire, est de retour d’un séjour au Mexique. Le film s’ouvre sur l’exhortation désespérée et acharnée de Paula, qui demande à son ex compagnon, Joachim, un photographe à la mode, de lui ouvrir sa porte. À la fois insolite et brutale, la scène d’ouverture nous présente sans fard cette jeune femme, lamentablement lâchée par cet homme qu’elle a aimé et pour qui, comme elle le confiera plus tard à un infirmier, elle « était tout pour lui », puis « plus rien ». Sac sur le dos, et le chat de Joachim sous le bras, Paula va errer dans Paris et tenter de se reconstruire.
Cette déambulation devient rapidement le point de départ d’une série de rencontres, ponctuelles ou suivies, qui vont progressivement métamorphoser la jeune femme. Homme louche de soirée ou belle inconnue croisée dans une rame de métro, les rencontres structurent la trajectoire de Paula et vont devenir le moteur de son nouveau départ. À chaque fois, Paula change de visage, comme d’identité. Tour à tour sosie rouquine d’Amy Winehouse, étudiante, baby-sitteuse, ou amie d’enfance, Paula se raconte et se réinvente constamment. Et c’est dans ce jeu iconoclaste que le film surprend et tire son épingle, car ces multiples facettes sont autant de moments où Paula se fait elle-même violence et se confronte parfois à des exigences de normes.
L’on retiendra notamment la séquence de cet entretien d’embauche pour une marque de lingerie, filmé tel un interrogatoire de police, avec une voix hors-champ qui isole au centre du cadre Paula comme pour se moquer timidement de sa fantaisie et de son côté décalé. Avec ces entretiens déconcertants, le film de Léonor Serraille rappelle les tentatives infructueuses de l’héroïne de Sue perdue dans Manhattan (Amos Kollek) pour renouer avec le monde du travail et dans lequel de simples conversations suffisaient à lui rappeler toute la froideur d’une ville individualiste et souvent cruelle.
Actrice hors-norme
Bien que ces deux femmes partagent ce sentiment de solitude dans des villes anonymes, prêtent à les absorber et étouffer toutes entières, elles n’en restent pas moins filmées avec suffisamment de distance pour que le film ne tombe jamais dans le pathos ou dans toute forme de complaisance. Si le film de Léonor Serraille cède à de très rares moments à la facilité, c’est dans l’artificialité de certaines situations que l’on sent animées par une volonté de mettre en évidence un accomplissement, comme lors d’un affrontement violent avec Joachim. Malgré ce léger écart, le film continue de surprendre dans des détails de mise en scène simples mais astucieux, qui insufflent au film une légèreté et mettent en lumière une direction d’acteurs et une interprétation formidables.
Ces moments apportent une grâce touchante au film, à l’instar de cette séquence où Paula apprend son renvoi de la bouche de la petite dont elle a la charge, et cache son émotion à travers des coiffures et des attitudes décalées. Filmée sous toutes les coutures, à bras le corps et pas à pas sur un fil de reconstruction qui menace à tout moment de céder, Laetitia Dosch explose et épate dans un rôle qui flirte délibérément avec la frontière de l’improvisation. L’on ressort de la projection revigoré, gagné par la combativité et l’originalité d’une jeune femme qui n’hésite pas à répondre à une annonce de rue pour chercher du réconfort, monter sur une chaise en pleine restaurant ou renifler des dessous en magasin. Une jeune femme que l’on n’oubliera pas de sitôt.