Un Petit frère est scindé en deux parties distinctes consacrées à la jeunesse de Jean et Ernest, ainsi qu’à la relation qu’ils entretiennent avec leur mère, Rose. Cette dernière a quitté la Côte d’Ivoire dans les années 1980 pour la France, en emmenant avec elle les deux frères, qui vont chacun faire l’expérience d’une intégration radicalement différente au sein de leur pays d’accueil. Turbulent et impulsif, Jean finira par perdre pied à force d’échecs à répétition, tandis qu’Ernest, plus calme et réfléchi, parviendra, contrairement à son aîné, à donner corps au souhait de Rose de voir ses enfants s’assimiler et s’accomplir professionnellement. Une telle partition en dit long sur ce qui, comme dans Jeune femme, caractérise le cinéma de Léonor Serraille : l’alternance systématique entre des moments de crise et de plénitude, entre la turbulence et le calme plat, entre la fougue et le détachement. D’un côté, il y a la mise en spectacle de ce qui est montré comme un échec foudroyant (Jean), de l’autre, la figuration plus discrète d’une réussite relativement apaisée (Ernest). Cette dichotomie se traduit à l’écran par une mise en scène à deux vitesses, qui dans la première moitié du film embrasse la violente fuite de l’aîné (avec pour acmé une scène de danse fiévreuse, motif désormais incontournable du cinéma français contemporain) avant d’accompagner, avec plus de tranquillité, le cheminement moral et intellectuel du cadet.
Dans ce cinéma de l’énergie et de l’épuisement, la caméra s’agite ou se fige pour figurer la fluctuation des émotions. Mais c’est seulement dans son prologue, consacré à l’arrivée de Rose en France, que le film fait de ce système bien rôdé le ciment de quelques belles scènes, comme lorsque, plongée dans la pénombre, Rose embrasse fougueusement un amant sur le départ avant de prendre la mesure, par un mutisme soudain, de la peine que lui cause d’ores et déjà son absence. Passion puis affliction : la formule est efficace d’un point de vue dramaturgique, surtout quand elle repose sur la polyvalence d’une actrice capable de passer spontanément d’un état à l’autre (après Laeticia Dosch : Annabelle Lengronne), mais elle s’avère pour autant très rigide. En témoigne l’épilogue doux-amer, où Serraille tente maladroitement d’emprunter une voie plus assagie. Un stéréotype de cours de philo au lycée, un contrôle de police tombant comme un cheveu sur la soupe, puis des retrouvailles attendues : sans fuite exaltée ou dérive existentielle à filmer, cette esthétique de la dépense paraît alors à court d’idées.