John Rabe, sous-titré Le Juste de Nankin, retrace les atrocités commises par l’armée impériale japonaise sur la population de Nankin en 1937, soit au début de la seconde guerre sino-japonaise. Membre du parti nazi et directeur de la filiale chinoise de Siemens AG, John Rabe (Ulrich Tukur) s’efforça de mettre en place une zone de sécurité qui permit à 250 000 civils et soldats chinois d’être sauvés. Si le réalisateur traite d’un pan de l’histoire de Chine dont le Japon ne reconnaît toujours pas aujourd’hui la responsabilité, le film n’arrive très malheureusement pas au niveau de son sujet.
John Rabe appartient à cette catégorie de films qui ont l’amer mérite d’exister. À l’image de Rachid Bouchareb et de ses ratages Indigènes et Hors-la-Loi, Florian Gallenberger s’attaque à un sujet boudé de l’histoire. Alors que le cinéma a depuis longtemps pris la Seconde Guerre mondiale comme sujet, celle-ci demeure une vaste zone entourée d’oublis, de périodes mal défrichées, îlots de l’histoire relégués au second plan par le cinématographe. L’ambition du réalisateur est donc certes très louable, mais demeure à un niveau purement historique. On essaiera donc de voir dans la gravité du sujet et la rareté de son traitement un (maigre ?) lot de consolation à l’insuffisance d’une mise en scène qui ne suffit pas à faire de John Rabe une œuvre cinématographique.
Le film revêt une forme qui s’apparente davantage à celle d’un docu-fiction télévisé. Gallenberger tombe dans le piège que représente la réalisation de tout film historique : le didactisme forcené. Alors que les images d’archives qui scandent le film semblent n’être là que pour attester de la véracité des faits relatés, les fondus enchaînés opérés entre celles-ci et la fiction cherchent un peu trop à légitimer cette dernière comme porteuse d’une certaine réalité. À la fin de chaque groupe d’images d’archives noir et blanc intervient un plan également noir et blanc de la fiction se muant en couleurs. Cette très laide transformation, venue assurer la transition d’un régime d’images à un autre, porte un message « la fiction = la réalité » on ne peut plus pesant et indigeste.
La cohabitation d’images d’archives et fictionnelles a trouvé chez Jean-Luc Godard (Les Carabiniers) ou Wim Wenders (Les Ailes du désir) des enjeux cinématographiques que l’on ne retrouve pas chez Gallenberger. Dans Les Ailes du désir, le réalisateur porte son attention sur un épisode de l’histoire également méconnu : le bombardement massif de l’Allemagne par les troupes alliées de 1942 à 1947, conduisant à la destruction (voire parfois à l’anéantissement total) de nombreuses villes. Les images d’archives n’ont jamais chez Wenders de portée explicative mais font partie intégrante de la singulière esthétique du film. Là où Gallenberger paraît craindre l’incompréhension de son sujet, Wenders accorde sa confiance à la capacité d’entendement du spectateur. Le bombardement de l’Allemagne n’est jamais nommé dans Les Ailes du désir comme sujet du film mais émerge de lui-même comme une matière opaque jamais totalement explicitée.
Au-delà de cette question des images d’archives, Gallenberger échoue à faire des moments forts de l’histoire contée des moments forts de mise en scène, ces premiers intervenant toujours comme de purs points de repère historiques. Exemple : l’ironie a voulu qu’un immense drapeau nazi étendu par John Rabe ait sauvé la vie à de nombreux Chinois rassemblés sous cet étendard, l’armée japonaise ne risquant pas de s’en prendre à l’Allemagne ainsi représentée. Quelle belle matière à mise en scène ! Mais le film pèche à faire de ce moment un vrai moment de cinéma en sortant les violons et lançant Ulrich Tukur dans la foule criant à tue-tête « Les femmes et les enfants d’abord ! » Autre exemple : la scène moralisatrice et assez ridicule du docteur Robert Wilson (Steve Buscemi) débarquant chemise en sang à la réunion de diplomates pour leur balancer leur vanité en pleine figure alors qu’il vient de voir mourir vingt-sept enfants sous ses yeux. On reprochera également à la directrice de casting en charge de la figuration d’avoir sévèrement failli à sa tâche. Vous ne trouverez nulle part ailleurs de figurants plus mauvais. Alignés en rang d’Oignon et prêts à être décapités, les figurants chinois semblent déjà penser à ce qu’ils vont manger à la cantine. Ce manque d’exigence révèle le caractère exclusivement illustratif d’un film qui ne nous épargne aucun détail des actes de barbarie commis par l’armée japonaise sur la population de Nankin (du concours de décapitation à la tentative de viol sur une jeune Chinoise) et construit un vrai dictionnaire des horreurs. Ou quand la mise en images remplace regrettablement la mise en scène.
John Rabe n’est pas un mauvais film mais bien plutôt un film raté, car confrontant la grandeur de son sujet à l’échec de sa mise en scène. Après City of Life and Death (déjà complaisant dans l’horreur) sorti l’année dernière, on attend la distribution du documentaire de Bill Guttentag et Dan Sturman, produit en 2007. Le massacre de Nankin sort progressivement de l’oubli, mais pour quels films ?