Il faut peu ou prou vingt minutes à Jojo Rabbit pour épuiser le potentiel de son pitch : au crépuscule du IIIème Reich, Johannes, dit « Jojo », nazillon de dix ans, est un fier adhérent des jeunesses hitlériennes, au point que son ami imaginaire n’est autre que le Führer lui-même (campé par le réalisateur, Taika Waititi). Vingt minutes où les vignettes éclairs et les gags s’accumulent mollement, jusqu’à ce qu’un plan réintroduise de la gravité dans ce qui ressemblait jusque-là à un succédané nazi de Moonrise Kingdom : Jojo se retrouve face à une ligne de pendus sur une place publique ; des « résistants » (le film en fera étonnamment beaucoup cas, s’autorisant une déformation historique cette fois-ci guère motivée par la comédie) exécutés pour avoir combattu l’ignominie du régime hitlérien. Jojo Rabbit opère ainsi une série d’allers et retours entre le drame et la comédie, d’abord en dévitalisant l’imagerie nazie pour n’en faire qu’une matière comique, puis en la réinvestissant pour confronter l’innocent Jojo à la répression des bourreaux et au regard d’une juive cachée dans son appartement avec laquelle le garçonnet se lie d’amitié.
On devine assez vite où Waititi veut en venir : le film sera l’histoire d’une « dénazification » et d’une ouverture à l’autre et à la beauté, c’est-à-dire aux papillons, à la danse et à David Bowie. Remplacer l’emprise d’un Hitler fantasmé par le corps et l’humanité bien réels d’une jeune juive, tel est le projet du film, inepte et inoffensif, qui se rêve pourtant en comédie originale. Sous couvert d’un vernis parodique supposément subversif et en fin de compte surtout paresseux (cf. la séquence de la Gestapo menée par Stephen Merchant, où le seul gag est la répétition jusqu’à l’usure de « Heil Hitler » entre les personnages), Jojo Rabbit délaisse rapidement les rivages de l’humour noir pour ceux du mauvais mélo. La peinture aberrante faite de l’Allemagne nazie, sorte de Disneyland harmonieux et suprêmement propret, pèse dès lors à peine dans l’échec du film, qui s’en tient à quelques blagues antisémites et apparitions furtives du Hitler imaginaire (que le film tend à un moment à complètement oublier) pour maintenir l’illusion de sa singularité. Jojo Rabbit est un film très bête et laid, faussement méchant et faussement malin, dont le peu d’audace laisse perplexe.