« Ce film est tiré de deux histoires vraies », lance un carton avant le début de Julie & Julia. Et l’auditoire de pouffer hautement : nous sommes en présence d’un film malin, subtil, élégant, qui sait rire de lui-même et de ses archétypes. C’est effectivement l’image que voudrait véhiculer Julie & Julia, une gentillette comédie qui, probablement à son insu, révèle une vision bien simpliste du monde.
Deux histoires vraies, donc. La première est celle de Julie, jeune New-Yorkaise de notre époque, un brin paumée, dont le job consiste à recevoir les appels des parents/amis/etc. des victimes du 11-Septembre. Une véritable joie, un job épanouissant, comme on peut l’imaginer. La seconde, c’est Julia, pimpante quinquagénaire suivant son ambassadeur de mari autour du monde, et tombée amoureuse de la cuisine française (son premier mot à son contact étant « Hmmm, du beurre.…! »).
Julia Child est une légende chez l’oncle Sam, une guerrière de la cuisine, celle qui a mis à la portée des cuisinières « sans valetaille » américaines la subtilité et la magnificence de la cuisine française. Auteur d’un livre devenu best-seller sur le sujet, elle fascine la jeune Julie – comme cela tombe bien que les prénoms correspondent ! Julie décide donc de se mettre à écrire un blog sur son défi : cuisiner les près de 600 recettes dans le livre de Julia Child en 365 jours. Et de se rendre compte que l’idée passionne des lecteurs…
La success-story, c’est important, au pays de l’oncle Sam. Quel que soit son talent, une personne finira toujours, à force de surmonter les épreuves adaptées, par se révéler dans son talent propre. Pour Julie, c’est la cuisine. Pourquoi pas ? Et la réalisatrice Nora Ephron (réalisatrice de Nuits blanches à Seattle et Vous avez un mess@ge, notamment) va donc nous balader au long de cette année-défi, avec des pauses pour nous raconter l’histoire de Julia – un peu comme si Virginia Woolf avait été aux fourneaux dans The Hours.
D’un côté, Amy Adams, le joli minois omniprésent du cinéma hollywoodien actuel, compose une Julie plutôt juste, parfois fatiguée, énervée, mais désespérément mignonne (un bon conseil : préparez-vous à la voir lancer, mince comme Kate Moss sous cocaïne : « J’ai l’air grosse ! » après six mois à deux repas par jour, une motte de beurre par repas… C’est énervant, oui). De l’autre, Meryl Streep, donnant encore, après son rôle de Mamma Mia !, dans l’autoparodie, dans le rôle de Julia, exubérante Américaine avec un adorable accent français.
Et toutes deux sonnent plutôt justes − même si Meryl Streep a rarement autant donné dans le cabotinage −, placent des dialogues savoureux, gentils sur les Français, gentils sur les Américains, gentils sur le sexe, gentils sur le sénateur Mc Carthy… Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, en somme. On rit souvent aux pointes d’humour de Julia, on frémit aux atermoiements de Julie, on bave devant les recettes présentées… (un bon conseil : réservez dans un restaurant et mangez après le film).
Tout cela n’est-il pas suffisant ? Pas vraiment. Si on peut très bien quitter Julie & Julia le sourire aux lèvres, l’estomac gargouillant et l’âme légère, une lecture un peu plus attentive du film désespère le spectateur un tant soit peu exigeant. Ainsi, il s’avère que les anecdotes de la vie de Julia Child ne sont pas une reconstitution − ce ne serait donc pas une histoire vraie ? − mais un fantasme. Julia Child est un fantasme d’Américaine ouverte, drôle et tolérante, les Français qu’elle côtoie sont des fantasmes caricaturaux à peine dignes de figurer dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain… Et si tout le film était un fantasme ?
Notre Julie est donc une fille bien : elle s’occupe des malheureux brisés par le 11-Septembre, elle admet ses torts, elle sait se remettre en question… Face à elle, dans une scène d’un manichéisme crasse, ses amies sont (respectivement) : une femme d’affaires méprisante pour ses collaborateurs et mesquine, une executive woman ne pensant qu’à l’argent, et une journaliste qui, comme de juste, va déformer les propos qui lui sont confiés. Le chef de notre héroïne ? Un chef certes, mais qui se désole de devoir la gronder parce qu’elle n’est pas venu un jour sans justification : « Je ne suis pas un schmock, je ne suis pas de droite, moi ! »…
On pourrait se dire que Nora Ephron se montre capable d’ironie, de construire un récit parodique en outrant les traits les plus répréhensibles à la fois de ses contemporains et du cinéma hollywoodien… Mais non. Julie & Julia n’est rien de plus qu’une fable gentillette sans la moindre profondeur, destinée à redorer le blason du fantasme d’un Américain à Paris, à remplacer les « vrais gens » par des pantins sans âme. Incapable de la moindre distance, de la moindre ironie, de la moindre ambition narrative même, Julie & Julia se révèle donc être une comédie choupinette, fondamentalement agréable et facile à vivre – mais tout de même dangereusement imbécile.