D’un point de vue marketing, Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? relève du coup de génie : en 1h37, le film de Philippe de Chauveron entend se faire l’écho, sur un ton potache et soit-disant bon enfant, des questions communautaires qui agitent le débat politique en France depuis de nombreuses années. La recette est imparable : prenez deux acteurs dignes représentants de la comédie old school made in France – Christian Clavier et Chantal Lauby –, confrontez-les à une jeune génération de « comiques » élevés au Jamel Comedy Club et vous trouvez l’idéal terrain de confrontation entre deux conceptions de l’intégration des minorités culturelles. L’idée aurait pu donner un résultat acceptable si le maigre enjeu du récit ne s’était pas autant polarisé sur l’opposition entre les Verneuil, un couple de grands bourgeois bon teint, et leurs différents beaux-fils, tous parfaits ambassadeurs d’une minorité visible (l’Algérien musulman, le Juif israélien, le Chinois puis l’Africain) et reflets du métissage culturel à la française, au point d’avoir complètement brocardé les personnages des quatre filles de bonne famille à qui on doit pourtant ce grossier choc des cultures. On le comprendra rapidement : le réalisateur ne s’intéresse absolument pas aux raisons qui pourraient pousser plusieurs sœurs à s’affranchir d’un idéal parental, le scénario ne se souciant à aucun moment de jouer du cliché pour questionner l’arrière-plan social. Le choix conscient des filles de ne pas avoir amené dans la famille des « gendres bien comme il faut » (pour reprendre les termes de l’une d’elle) n’est donc qu’un prétexte à bazarder la bienséance et le politiquement correct à coups de blagues un peu vaseuses, celles qu’on n’osera jamais dire en public alors que personne n’en pense pas moins car, après tout, comme le reconnaît l’un des personnages : « on a tous un côté raciste dans le fond ».
Décomplexé
Totalement satisfait de son parti-pris de ne reculer devant aucun cliché sous couvert de ne jamais se prendre au sérieux, Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? déroule donc son piètre programme. Dans sa première partie, les parents, leurs filles et leurs beaux-fils tentent de trouver un relatif équilibre relationnel, en dépit des tensions sous-jacentes aux clichés que chacun emporte avec lui à propos d’une communauté qui n’est pas la sienne. D’un côté, le père multiplie les dérapages verbaux tout en revendiquant son gaullisme tandis que la mère analyse avec son psychiatre que son racisme pourrait tout simplement venir d’une peur refoulée des souris, ce qui justifiera probablement qu’elle se fende d’un « Mahmoud, ça fait quand même un peu mammouth » lorsqu’il sera question de débattre du prénom de l’enfant à venir. Entre ces deux cas désespérés, les trois beaux-fils (le musulman, le Juif et le Chinois) se tirent allègrement dans les pattes, n’hésitant pas à se mettre sur la tête dès que l’un d’entre eux commet une maladresse sous le regard interloqué (mais relativement absent) de leurs compagnes. Tout semble rentrer dans l’ordre lorsque la mère prend l’initiative d’organiser un grand de repas de Noël en mixant la gastronomie des pays d’origine de ses beaux-fils. Cela nous vaudra une scène d’anthologie au cours de laquelle l’employé d’une boucherie halal, après avoir servi cette cliente inhabituelle, s’exclamera en arabe que « si même les vieilles bourgeoises se convertissent à l’islam, c’est vraiment que ce pays part en couilles ». Le fait même qu’on puisse investir cette remarque d’un potentiel comique en dit long sur la distance dédaigneuse et nauséabonde que le film entretient avec son sujet, ne visant qu’à flatter la médiocrité du spectateur en le gavant de blagues ce comptoir. La finalité d’autres scènes interroge aussi lorsque, par exemple, les beaux-fils entreprennent de prouver qu’eux aussi ont parfaitement assimilé les valeurs de la république. On pense bien entendu à la scène au cours de laquelle tous entonnent, avec un enthousiasme appuyé, la Marseillaise devant le père gaulliste au bord de l’orgasme. S’il ne faut pas certainement abandonner l’hymne national aux partis d’extrême-droite, qu’est-ce que cette scène entend précisément nous prouver ?
L’intrus
On serait tenté d’aller chercher un semblant de réponse lorsque la petite dernière annonce à ses parents, ses sœurs et ses beaux-frères – tous stupéfaits – son intention d’épouser un garçon originaire d’Afrique noire. L’idée même que les sœurs – qui ont choisi de ne pas se marier avec des Blancs catholiques – et leurs maris respectifs — qui ne cessent de faire valoir la richesse de leur culture d’origine et de s’indigner des préjugés qui leur collent à la peau – puissent s’allier pour faire capoter ce projet de mariage en dit également long sur l’ambivalence du discours du film. On n’est pas loin des célèbres propos de Brice Hortefeux qui s’exprimait en ces termes à propos des Arabes : « Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. » C’est sûr que la scène du théâtre ne lui donnera pas tort : alors que les gendres sont incapables de se tenir lors de la représentation d’une pièce de Marivaux, l’un d’entre eux ne peut s’empêcher de s’exclamer – alors qu’ils ont déjà incommodé la majeure partie des spectateurs – « j’ai envie de chier », démonstration impitoyable que ces indisciplinés sont imperméables à une culture qui, de toutes façons, serait élitiste et n’intéresserait personne. Populisme, quand tu nous tiens. Bien heureusement, tout finira dans le meilleur des mondes grâce au lien d’amitié qui s’établira entre le père de la jeune fille et le père africain, spécialement venu pour le mariage, et qui n’aime par ailleurs pas trop qu’on le « prenne pour l’Oncle Ben’s ». Reflet d’un conformisme qui, en plus d’être raciste, répartit les rôles d’une manière excessivement genrée (il y a les communautés d’hommes et celles des femmes), Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? offre tout simplement un spectacle navrant. Est-il nécessaire de préciser qu’il n’y a même pas une seule bonne idée d’écriture ou de mise en scène ?