Alors que l’actualité remet en lumière l’UDC, le parti politique suisse d’extrême-droite à l’origine de la proposition de limitation de l’immigration adoptée par référendum la semaine dernière, sort ce mercredi le documentaire de Jean-Stéphane Bron sur Christoph Blocher, figure majeure de l’UDC depuis plus de vingt ans. Présenté en première mondiale lors du festival de Locarno 2013, sous haute surveillance policière après une semaine d’intense polémique dans les médias suisses, L’Expérience Blocher n’est malheureusement pas à la hauteur de sa résonance médiatique.
Cinéma
Jean-Stéphane Bron est connu pour son engagement à gauche, qui transparaît largement dans son précédent film Cleveland contre Wall Street. Il se pose donc légitimement la question de son positionnement en tant que réalisateur, et partage ses interrogations avec le spectateur en introduction de son film : comment ériger des barrières entre ses propres convictions et les idées de son sujet, comment trouver un compromis acceptable pour ne pas briser le pacte de confiance passé avec Blocher, qui a accepté le projet. Mais Bron est tellement concentré sur cette problématique qu’il en oublie l’essentiel et ne se rend pas compte qu’il n’a aucun matériel de valeur autour duquel articuler son film. Blocher s’est laissé filmer mais il n’a rien donné. Le film accumule donc les images du politicien muet dans sa voiture, quelques moments de détente sans intérêt et un pseudo-plan volé où l’on voit Blocher expliquer pourquoi il souhaite garder une séquence en off. Des vues aériennes léchées de sa voiture dans les collines verdoyantes complètent le tableau mais donnent plutôt l’impression d’être face à une pub pour une voiture de sport que dans les travées d’un cinéma. Bron s’est finalement fixé pour objectif de percer l’homme, ses secrets, ses zones d’ombre, de faire un film et pas de politique. Mais rien ne transparaît. L’homme reste désespérément opaque, et jamais le film ne surprend, se bornant au triptyque convenu d’images d’archives, de voix-off explicative et de séquences de reportage tournées lors de la dernière campagne électorale.
Politique
Il reste malheureusement l’aspect politique, inévitable pour une telle entreprise. Et sur ce point, il nous semble que Blocher ressort nettement vainqueur. Bron émaille certes son film d’un discours qui rappelle les faits d’armes les plus discutables du politicien (participation à un groupe de soutien à l’apartheid, affiches nauséabondes envers les immigrés, etc…), mais jamais l’image ne donne à ressentir la teneur des mots du cinéaste. Blocher squatte l’écran, et apparaît diablement commun, en papy vieillissant plutôt sympathique. Bron ne le confronte pas avec ses prises de position politiques qui restent cantonnées à un registre formel distinct (voix-off du cinéaste et archives télévisuelles). Un journal suisse a écrit que L’Expérience Blocher faisait l’exploit de priver Blocher de parole. C’est vrai. Mais que reste-t-il sans cette parole, centre névralgique du personnage et canal principal de diffusion de son idéologie? Cette impression visuelle de petit homme quasi inoffensif, qui prend le pas sur le discours maintes fois soupesé du réalisateur. À ce compte, Blocher s’offre une image clémente à bon compte, et l’on a l’impression tenace que le vieil ogre politique n’a fait qu’une bouchée du jeune réalisateur de gauche plein de bonnes intentions.