Portrait énigmatique d’un jeune Allemand de 18 ans, L’Imposteur est une nouvelle preuve du regain de vitalité du cinéma allemand. Pour le moins déroutant, le second film de Christoph Hochhäusler entremêle habilement fantasme et réalité et s’aventure vers des terres inexplorées.
Armin est un jeune Allemand de 18 ans. Issu d’un milieu plutôt aisé, il dérive entre une mère hyper-protectrice, un père exigeant et deux grands frères qui ont forcément mieux réussi que lui. Sous la pression de ses parents, le jeune homme multiplie les entretiens dans l’espoir de décrocher un emploi. Mais Armin est ailleurs. Où? On ne le sait pas, et on ne le saura jamais. Quelque part, perdu dans un univers étrange et foisonnant, coupé du réel, des conversations quotidiennes de ses parents, des attentes de ses potentiels futurs employeurs. C’est à peine s’il sait sourire ou s’émouvoir. Et pourtant, son regard regorge de malice et d’étranges visions.
Rapidement, on est amené à se poser cette question: qui est Armin? Pourquoi décide-t-il, alors qu’il est témoin d’un accident de la route meurtrier, de s’emparer d’une pièce du véhicule pour faire croire à un acte criminel dont lui seul serait le responsable? Après quoi le jeune homme court-il? Ceux qui espèrent que le réalisateur percera peu à peu le mystère intérieur de cet adolescent risquent d’être très déçus. Au contraire, les pistes se brouillent au fur et à mesure au point de devenir un magma indescriptible dans lequel le désir, la souillure, la mort et l’amour se mêlent inlassablement. Lorsqu’il n’est pas avec Kadja, une jeune fille dont il s’est épris et qu’il a rencontrée dans le bus, Armin erre le long de l’autoroute, s’arrête dans les toilettes publiques pour y écrire sur les murs. Ces lieux – plutôt glauques – renvoient par ailleurs à d’autres désirs qu’Armin dissimule tout au fond de lui. À plusieurs reprises, nous le voyons encerclé par une bande de motards tous vêtus de cuir à laquelle il s’offre sexuellement. Fantasme? Rêve nocturne? Réalité? Les pistes se brouillent lorsque le jeune garçon reçoit l’un d’entre eux chez lui, qu’il le conduit jusqu’à sa chambre où il se fait sodomiser frénétiquement. Mais la psychologisation du personnage n’est pas ce qui intéresse manifestement le réalisateur. Il aurait été décevant d’expliquer le mal-être d’Armin, du moins son incapacité à s’inscrire dans le réel, par une sorte d’homosexualité mal assumée qui plus est justifiée par une mère envahissante et un père plus en retrait. Les étiquettes ne sont pas de mise. L’univers d’Armin est bien plus complexe que cela car son drame est de se refuser littéralement au moindre point d’ancrage. Il est à la fois tout et rien.
L’idée d’imposture, suggérée par le titre du film, n’est pas forcément celle que l’on croit parce qu’elle n’est pas seulement liée aux lettres anonymes que l’adolescent envoie à la police pour la mettre sur une piste criminelle qui n’existe pas. L’imposture est d’ordre plus symbolique. Elle est relative au mal-être du garçon, à son refus d’être ce qu’on attend de lui (contrairement à ses frères) tout en faisant mine de vouloir y arriver. Cette imposture, c’est tout simplement ce mensonge que l’on fait aux autres puis finalement à soi.
Quand certains réalisateurs se seraient essentiellement axés sur les dialogues pour faire exister le mystère intérieur d’Armin, Christoph Hochhäusler adopte une mise en scène rigoureuse et onirique, préférant les silences pesants que le montage sait habilement rendre significatifs. La sécheresse des plans conjuguée à un jeu d’acteurs qui refuse l’outrance rend d’autant plus évident le vide abyssal du quotidien d’Armin qui aura fini par se convaincre que la vie était ailleurs.