Argentine, 1982. Hors les murs de l’école, la révolte gronde. Au sein de l’école, la discipline règne. María Teresa est en charge de cette discipline, une jeune fille rêche, sévère, qui cache dans son cœur et dans son ventre un désir que, fille d’années de répression morale et politique, elle imagine coupable. Et l’œil invisible, celui de la caméra, de nous ouvrir les portes d’un récit qui, hélas, évolue sans surprise.
Voilà un sujet qui fleure bon le métacinéma : l’œil invisible, l’observateur omniprésent, indétectable. Nous parle-t-on ici des regards énamourés de la jeune María Teresa envers ses divers hommes fantasmés ? De celui, scrutateur, du surveillant général, qui traque la subversion sans répit ? Du rapport, en filigrane, des personnages et des acteurs, à la caméra qui, toujours, les observe ? Hélas, cette dernière approche, certainement la plus intéressante, et qui eut fait sortir L’Œil invisible des sentiers rebattus du symbolisme lourd, est la seule qui ne soit pas adoptée par le réalisateur, Diego Lerman.
Que reste-t-il ? Un récit attendu, enfermé : celui d’une institution scolaire bloquée dans sa sclérose morale, dans laquelle María Teresa est un cancer « subversif » inévitable – de même que son désir naissant est un cancer dans l’âme brimée de la jeune femme. Le symbole est clair, simple… usé. Et la symbolique du discours est à l’avenant : cette subversion, si redoutée par le surveillant général Biasutto, est intrinsèque, inévitable, irrépressible, et passe par l’accession à une sexualité (un tout petit peu) plus libre. Soit. Le discours est clair, et on devine aisément qu’il ressort avec force du roman Ciencas Morales à l’origine du scénario.
Mais cela ne suffit pas à faire un film. Pour son adaptation, le réalisateur scrute les moindres faits et gestes de Julieta Zylberberg, son interprète principale. À l’école, chez elle, dans l’une des rares soirées que s’autorise la sévère jeune femme – partout la caméra va traquer son sujet, à l’affût, et le spectateur avec elle, des fissures, des craquements qui laisseraient deviner le désir, la pression de la sexualité réprimée. En vain. Au sein de l’école, Diego Lerman s’appuie abondamment sur les lignes géométriques, droites sévères omniprésentes qui emprisonnent son regard comme sont pris au piège les occupants de l’école : jamais le cadre ne va s’écarter de ces lignes de composition austères, sclérosées – ni l’image ni María Teresa elle-même ne dévieront de ces rails sur lesquels elles sont posées. Il faudra, évidemment, l’évènement extérieur, le trauma intense, pour provoquer le changement, l’expulsion de tout ce qui est réprimé en María Teresa, au sein de l’école, dans le pays entier.
Diego Lerman ne saisit jamais l’opportunité d’exercer la liberté dont rêvent María Teresa et l’Argentine. Paradoxalement prisonnier de l’austérité qu’il voudrait dénoncer comment une oppression, le réalisateur semble écrasé, incapable d’assumer sa symbolique pourtant douloureusement primaire.