Antoine (Guillaume Canet) dirige une société organisant des soirées thématiques où des fragments d’histoire (la grande, mais aussi de simples tranches de vie) sont reconstitués dans un studio de cinéma pour satisfaire les extravagances d’hôtes fortunés. Il offre à Victor (Daniel Auteuil, grimé en Régis Debray baba cool), en qui il voit une forme de substitut paternel, l’opportunité d’y participer le temps d’un soir. Celui-ci, tout juste mis à la porte par sa femme, Marianne (Fanny Ardant, égale à elle-même, en e‑psychanalyste), décide de rejouer leur première rencontre dans un bistrot lyonnais au mitan des années 1970. C’est à Margot (Doria Tillier), la jeune femme qu’il souhaite reconquérir, qu’Antoine confie le rôle de Marianne. En entrelaçant les différents moments de la vie d’un couple, le film entend proposer une forme rénovée de comédie de remariage. Tout-terrain, il embrasse le registre de la fable sur le temps qui passe, le récit d’une tentative de conciliation avec la figure du père, ainsi que la satire d’une époque et d’une classe (ces hippies devenus grands bourgeois).
Les travers d’Antoine
Évidemment, Antoine, c’est Nicolas. Le film se présente comme une déclaration d’amour, déjà teintée d’une angoisse sur le devenir du couple et le vieillissement, adressée à celle qui est alors la compagne de Bedos « à la ville ». On devine qu’il met en scène l’équilibre périlleux d’une relation animée par la pulsion démiurgique du cinéaste. Tapi derrière un miroir sans teint, Antoine ne désire jamais autant Margot que lorsqu’elle joue un rôle et que, s’offrant à son regard, elle se soumet ou se défait tour à tour de son emprise. Toute la production de Nicolas Bedos – qui, ce n’est pas anodin, a notamment pris la forme d’un journal (« du mythomane ») – est travaillée par un motif, la blessure narcissique, et mue par un ressort, la séduction, qui suppose toujours chez lui l’exhibition de ses propres travers sous la forme d’un petit jeu d’auto-humiliation dont la victime lucide ne peut ressortir que vainqueur. Sa vanité en serait le correctif nécessaire. Il n’est dès lors pas surprenant qu’ici, les rapports entre les personnages fonctionnent quasi-systématiquement sur le mode de la joute verbale (plus exactement, de la répartie, du tac-au-tac acerbe). Si le dramaturge, qui déploie son art avec plus ou moins de bonheur, jouit de mettre ses mots dans la bouche des autres, le séducteur tire un plaisir retors à se voir ainsi diminué.
Ainsi d’une scène au début du film. Antoine et Margot sont brouillés, celle-ci lui reprochant d’être tyrannique lorsqu’il dirige ses acteurs, en plus d’être foncièrement misogyne (la faute à un environnement familial sous tension, voire au fait qu’adolescent une femme qu’il aimait l’a quitté pour un autre – voilà ce qui est grossièrement suggéré). Tandis qu’elle le couvre d’injures et de reproches, elle lui pratique une fellation (fellation qui, verbalisée, revient continuellement dans les rapports de force entre les personnages). Tout le comique de la scène est supposé reposer sur le décalage entre ses remontrances (« non ») et ses cris de plaisir (« oui »). De façon moins radicale, mais dans le même esprit, Marianne séduit Victor en égrenant des insultes et c’est en réitérant ces répliques au cours de la dernière reconstitution de la rencontre que le charme sera pour de bon rétabli. Ce que viendrait recouvrir cette tendance masochiste – la chose est formulée très littéralement –, c’est une forme de dégoût de soi dont l’acceptation serait un premier pas vers l’autre. Le personnage de Fanny Ardant réalise à la fin du film que ce n’est pas le pyjama de grand-père de son mari qui la repousse, mais bien le peu d’estime qu’elle a d’elle-même. De même, plus symboliquement, il faut que Margot brise un miroir (« à 500 boules ») pour qu’Antoine lâche du lest.
L’esbroufe
On peut alors regretter que le cinéaste, volontiers mordant à son égard, s’en tire à si bon compte et se réfugie avec une certaine complaisance derrière un commode expédiant : le pouvoir régénérant de la fiction, comme moyen de réenchanter le couple, la vie et pourquoi pas l’époque. D’autant que sur ce terrain, il reste largement prisonnier de son imaginaire germanopratin, et que célébrant inlassablement les vertus du cinéma (notamment en multipliant les citations), il ne l’inscrit pas moins jamais que dans un horizon théâtral dont le film se refuse pourtant à épouser les contours, multipliant les effets de montage qui articulent péniblement les différents fils de l’intrigue selon une logique du climax qui comprime toute respiration (et fait en cela écho à l’obsession d’Antoine pour le contrôle). C’est que derrière l’épanchement de l’artiste qui offre crûment le spectacle de ses travers pour désamorcer le jugement et désarmer l’objecteur, répond un goût de l’épate satisfait de lui-même, dont Bedos ne se départit jamais vraiment.