Il est de notoriété d’affirmer que ce film est le tombeau éclatant d’une superstar hollywoodienne, celle qui fit fantasmer les années 1940 en retirant un unique gant noir et qui mourait si bien dans un dédale de miroirs chez Orson Welles. Et ce film est effectivement l’image mélancolique d’une femme à la dérive qui ne cache plus ses cernes et sa fatigue. George Sidney a donc bien choisi en bouleversant une ultime fois l’image de Rita Hayworth et en l’accolant à une autre, beaucoup moins glamour mais qui annonce le Hollywood des années soixante, Kim Novak. Entre elles, le charismatique Frank Sinatra et la désuétude d’une comédie musicale montée à Broadway en 1940 et qui n’a tout de même pas le panache enlevé d’Un Américain à Paris ou de Chantons sous la pluie.
Joey (Frank Sinatra), séducteur notoire, est particulièrement apprécié dans le cabaret qu’il vient juste d’intégrer. Il remarque une voix douce et un corps de jeune déesse, Linda English (Kim Novak) mais succombe à l’argent et au renom dans les bras de Mrs Simpson (Rita Hayworth), ancienne strip-teaseuse. Grâce à elle, il peut donc se payer le cabaret de ses rêves mais la rousse encore flamboyante voit d’un mauvais œil l’ingénue Linda. La blonde ou la rousse… Le choix est sans doute cornélien et Joey prendra dans ses bras celle qui, pure, pourra l’emmener vers l’amour, le vrai.
George Sidney est un habitué de la comédie musicale bien faite : du Bal des sirènes avec Esther Williams en 1943 à Show Boat avec Ava Gardner en 1951, sans oublier Embrasse-moi chérie (1953) ou L’Amour en quatrième vitesse avec Elvis Presley (1964). C’est dire qu’en lui confiant le script de La Blonde ou la rousse, les producteurs de la Columbia n’ont pris aucun risque et ne s’y sont pas trompés. Le technicolor éblouit chaque numéro dansé et met d’autant en évidence la blondeur de l’une, la rousseur de l’autre. La première danse de Rita fait bien évidemment référence au fameux effeuillage de Gilda (analysé sur ce site par Ophélie Wiel) et la belle enlève, lasse, deux gants blancs, rapidement. Le vert, le blanc, le violet sont alors les couleurs étendards qui rendent visibles les états d’âme des protagonistes. Efficacement filmé, La Blonde ou la rousse a aussi l’insigne mérite d’utiliser avec impertinence l’humour pour dévoiler la perfidie de Joey, la solitude de Mrs Simpson et la naïveté de Linda. Jusque dans la présentation d’un chien, symbole de la fidélité, qui ne quitte plus le séducteur notoire qu’est Frank Sinatra. Notons l’incroyable zoom, incroyable parce que « mal fait », seul moment où le film s’échappe et annonce le désir de l’homme, zoom violent sur les yeux de Sinatra dévorant Kim Novak qui est en train de se déshabiller. Ce « mal fait » dans l’impeccable tenue technique est d’une profonde violence sexuelle. Cependant, les shows restent très personnels, Kim Novak d’un côté, Rita Hayworth de l’autre, Frank Sinatra à l’autre bout. Ces trois tempéraments ne se mêlent pas et malgré le luxe déployé, la crédibilité de leur relation en pâtit quelque peu. L’unique scène où les trois vedettes dansent ensemble nous frustre un peu puisqu’elle ne dure que le temps d’un songe.
Kim Novak, une des fantasmatiques futures blondes d’Alfred Hitchcock dans Vertigo, garde au creux de ses souvenirs un rapport tout particulier à La Blonde ou la rousse. Harry Cohn, le patron de la Columbia, décide de mettre un terme à la carrière de sa rousse flamboyante qui, de mariages ratés en échecs commerciaux, en dérives fumeuses et alcools bon marché, est définitivement has been. Il a besoin d’une remplaçante à Rita Hayworth ; certes il y a Marilyn mais les producteurs ont toujours le désir ardent de renouveler leur propre désir et Kim Novak arrive juste à point pour figurer dans le générique des stars fabriquées. Lorsque le premier jour de tournage commence, personne n’est dupe : ce film sera un des derniers de celle que la Mecque du cinéma avait baptisée «~L’Étoile des étoiles~». Rita Hayworth le sait mieux qu’une autre et, elle si ponctuelle, n’arrive toujours pas. Kim Novak, surtout impressionnée à l’idée de voir Gilda, attend anxieusement l’arrivée de celle que Hollywood a décidé de sacrifier. Et elle arrive enfin, moulée dans un fourreau noir, superbe, dans un silence respectueux. Kim Novak raconte alors que la comparaison n’était pas à son avantage : qu’à cela ne tienne, les producteurs vont travailler la silhouette de Kim ; ils vont l’engoncer dans des vêtements serrés jusqu’au cou pour mieux faire ressortir la poitrine, les hanches, les fesses, les longues jambes, de l’impudeur à son extrême et tout cela pour enterrer la silhouette entêtante de Gilda. Ce film est surtout et avant tout, en filigrane, l’histoire d’un passage de relais, d’une époque à une autre, d’un âge d’or hollywoodien à un Hollywood plus réaliste. Et ce passage de relais est également visible dans le choix des actrices : La Blonde ou la rousse fait ainsi, sans dommage, passer d’un style de femme à un autre… Mais enfin, Kim Novak ne remplacera pas Rita Hayworth comme les producteurs de la Columbia l’avaient tant souhaité. Le seul remplacement qui bouleversera sa carrière et fera date dans l’Histoire du cinéma est celui qui lui permet d’être brune ou blonde face à James Stewart dans Vertigo, l’actrice Vera Miles se désistant car enceinte. Rita Hayworth, elle, fera encore quelques apparitions qui laissent un goût bien amer et sombrera corps et âme, sans rémission. La Blonde ou la rousse est son tombeau.